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DRUMONT ÉDOUARD (1844-1917)

Après de très irrégulières études, son père malade s'en remettant à lui des charges de la famille, le jeune Drumont est, à vingt ans, employé de l'Hôtel de Ville de Paris. Il y reste six mois et se lance aventureusement dans le journalisme : quelques chroniques au Moniteur du bâtiment. Ce départ modeste lui permet de se frayer un chemin parmi quelques-unes des innombrables publications de l'époque, qui lui prennent de rares articles et le chargent parfois de faire du porte-à-porte pour recueillir des abonnements. Ces obscures activités lui permettent cependant de faire la connaissance de célébrités comme Barbey d'Aurevilly, Victor Duruy, Henri Lasserre, Alphonse Daudet. Un article qu'il rédige sur Émile de Girardin, directeur de La Liberté, lui ouvre les portes de ce journal ; c'est le vrai et sérieux début dans la carrière.

Son œuvre littéraire commence en 1878 avec Mon Vieux Paris, inspiré par les événements de la Commune. C'est l'époque où, après avoir manifesté sa sympathie aux idées du comte de Chambord, il s'en éloigne, lui reprochant son manque d'audace. En 1886, la parution de La France juive déclenche les passions ; il a un duel avec Arthur Meyer, directeur du Gaulois (lequel, de façon inattendue, approuvera vingt-cinq ans plus tard l'antisémitisme de Drumont), déchaîne une presse très partagée, connaît le succès.

Enfin, en 1892, Drumont, qui est journaliste avant tout, fonde son propre journal, La Libre Parole, où se développent des thèses très voisines du socialisme et dont le premier coup d'éclat est la publication d'un dossier qui deviendra bientôt « le scandale de Panamá ». Un moment ralenti, le succès de La Libre Parole connaît un renouveau avec l'affaire Dreyfus, cependant que, idéologiquement, son directeur, qui a proclamé que « le capitalisme est à la propriété ce que Caïn est à Abel », devient le porte-drapeau adulé ou détesté d'un antisémitisme et d'un anticapitalisme qui se confondent sans pouvoir édifier vraiment une doctrine.

Il ne manquait à Drumont qu'une entrée dans l'arène politique ; ce fut fait en 1898 avec son élection comme député d'Alger. Ce succès, il le doit au violent courant antisémite qui secouait une Algérie où les Arabes n'avaient pas obtenu de la métropole les droits accordés à la communauté juive. Mais il est battu en 1902 et sa carrière à la Chambre s'achève. S'achève aussi, insensiblement mais irrémédiablement, le succès de La Libre Parole qui, en 1910, passe sous le contrôle d'un groupe de catholiques ultra-conservateurs ; la fusion avec l'Action française, envisagée par Drumont, qui voulait céder son journal à Léon Daudet, a échoué. Dès lors, c'est un vieil homme malheureux, quasiment ruiné, toujours virulent, mais privé de son porte-voix, qui assiste au début du conflit qui fait reculer, dans le temps et les esprits, les polémiques, les scandales et les brouilles qui auront animé cette fin de siècle. Retiré à Veneux-Nadon, il se décide, en février 1917, à venir à Paris pour soigner ses yeux très diminués ; le soir même de son arrivée dans la capitale enfiévrée par l'Union sacrée, rassemblée autour de son ancien adversaire de plume et d'épée, Georges Clemenceau, Drumont meurt... fait divers brièvement indiqué dans La Libre Parole du lendemain.

— Pierre-Robert LECLERCQ

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