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EAU DU MANTEAU TERRESTRE

On qualifie souvent la Terre de « planète bleue » parce que l'eau des océans recouvre plus des deux tiers de sa surface. Les géologues spécialistes de l'intérieur de la Terre pourraient la qualifier plutôt de « planète verte », car le manteau – enveloppe la plus importante de la planète qui s'étend de la base de la croûte jusqu'à la surface du noyau métallique à 2 900 kilomètres de profondeur – est formé majoritairement d'olivine, minéral qui tient son nom de sa couleur vert olive (et des minéraux en lesquels elle se transforme à grande profondeur et sur lesquels nous reviendrons). Mais les deux enveloppes terrestres, hydrosphère et manteau, ne sont pas des réservoirs déconnectés l’un de l’autre, et l'eau est loin d'être absente du manteau. Le fait que la vapeur d'eau soit l'espèce chimique dominante dans les gaz volcaniques en est un indice évident. De plus, l'injection continue de matériaux hydratés, sédiments et croûte océanique altérée, dans le manteau au niveau des zones de subduction, laisse envisager un véritable cycle interne de l'eau au sein du manteau terrestre.

Teneur en eau du manteau terrestre

Il y a donc de l’eau dans le manteau terrestre. Cependant, l'eau libre n'existe sur Terre que dans l'hydrosphère (les océans, les rivières, les nappes phréatiques). Dès que l'on passe en dessous du niveau des sols, l'eau est incorporée dans la structure cristalline des minéraux qui constituent les roches, sous la forme de liaisons OH. La teneur en eau du manteau varie significativement selon la profondeur et la composition minéralogique des matériaux concernés. Une première estimation de la teneur en eau du manteau supérieur repose sur la teneur en eau des basaltes, appelés MORBs (acronyme retenu internationalement pour midoceanicridgebasalts en anglais, ou « basaltes de rides océaniques » en français), produits au niveau des dorsales océaniques par fusion partielle du manteau chaud, entre 50 et 150 kilomètres de profondeur environ, dans les courants de convection ascendants. Or l'eau est un élément dit « incompatible », qui va systématiquement passer dans la phase liquide lors d'un phénomène de fusion partielle. Connaissant la teneur en eau dans les basaltes et le taux de fusion partielle qui les a produits, on peut alors remonter à la teneur en eau du matériau source. La valeur typique de cette teneur en eau est de 0,12 p. 100 soit 1 200 parties par million (ppm, unité adaptée aux faibles concentrations ; 1 ppm = 104 p. 100). En considérant que les MORBs correspondent à un taux de fusion partielle de 10 à 20 p. 100, on obtient alors une teneur de 120 à 240 ppm dans le matériau source. Un autre type de volcanisme important dans les domaines océaniques est celui des points chauds, comme Hawaii ou La Réunion. Le manteau fondant au niveau des points chauds apparaît plus hydraté que le manteau supérieur à la source des MORBs, et fournit une estimation pour la concentration en eau de 500 à 700 ppm.

Péridotite - crédits : James St. John

Péridotite

Une seconde estimation de la teneur en eau dans le manteau est fondée sur l'étude directe de la roche formant le manteau supérieur (qui s'étend jusqu'à 670 km de profondeur), la péridotite. Ce type d'échantillon est récolté dans les continents, sous la forme d'inclusions remontées dans les laves (également appelées « xénolithes »). Les mesures de concentration en eau sur ces xénolithes donnent des valeurs nettement plus faibles que pour le manteau océanique, de l'ordre de 50 à 200 ppm. Ces valeurs indiquent que le manteau sous-continental d’où provient la péridotite a été en partie déshydraté lors de la formation de la croûte.

Cristal de ringwoodite - crédits : Joseph R. Smyth, University of Colorado

Cristal de ringwoodite

Les deux précédentes estimations sont a priori valables pour un manteau assez superficiel (à l'échelle de la Terre) où se produisent les phénomènes de fusion. Le manteau plus profond n'est pas échantillonné par le magmatisme et d'autres techniques doivent être utilisées pour estimer sa concentration en eau. La technique la plus commune est l'étude des vitesses de propagation des ondes sismiques, en particulier dans la zone dite de transition, entre 410 et 670 kilomètres de profondeur. Dans cette zone, l'olivine change de structure cristallographique (sans évolution de composition chimique) pour se transformer en ringwoodite puis en wadsleyite, minéraux de haute pression plus compacts et dans lesquels les ondes sismiques se propagent nettement plus vite que dans l'olivine. Les études de pétrologie expérimentale montrent que la pression – donc la profondeur – où se produisent ces transformations dépend de la teneur en eau des minéraux. En cartographiant les variations de profondeur des sauts de vitesse de la zone de transition, on observe que cette zone contient à peu près 4 000 ppm d'eau (soit 0,4 p. 100), et est donc nettement plus hydratée que le manteau superficiel. Cette conclusion est renforcée par les mesures en laboratoire qui confirment que les minéraux de la zone de transition peuvent contenir nettement plus d'eau que l'olivine : alors que celle-ci en contient environ 0,1 p. 100, ils peuvent en incorporer jusqu'à 2 p. 100. Ce dernier chiffre est en cohérence avec les mesures de conductivité électrique – paramètre très dépendant de la teneur en hydrogène et donc de la teneur en eau –, qui donnent des valeurs nettement plus hautes dans la zone de transition que dans le reste du manteau.

À 670 kilomètres de profondeur, une réaction minéralogique majeure se produit et marque la transition entre le manteau supérieur et le manteau inférieur : la wadsleyite se transforme entre un assemblage de bridgmanite et d'un oxyde de fer et magnésium, le ferropériclase. Il est extrêmement difficile d'étudier les propriétés de ces minéraux de très haute pression en laboratoire, mais les études actuelles semblent montrer que l'eau est peu soluble dans la bridgmanite et est dissoute plutôt dans le ferropériclase. Les concentrations attendues sont de l'ordre de celles obtenues pour l'olivine, entre 0,1 et 0,2 p. 100. Ces estimations pourraient être augmentées d'un facteur deux à trois si l’on considère que l'eau est transférée sous forme d'hydrogène associé au fer dans le manteau très profond.

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On conçoit que les incertitudes sont très grandes lorsqu’on se livre à une estimation de la teneur totale en eau dans le manteau et qu’elles ne permettent que d’en fournir une valeur minimale et une valeur maximale. En considérant un manteau plutôt « sec » à l'exception de la zone de transition, on peut proposer une valeur basse correspondant à l'équivalent d'une fois la masse des océans dans le manteau. En considérant, à l'opposé, un manteau riche en eau, et plus précisément un manteau inférieur riche en hydrogène, on peut pousser raisonnablement l'estimation jusqu'à l'équivalent du contenu de trois voire cinq fois la masse des océans.

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Écrit par

  • : professeur des Universités, Institut de physique du globe de Paris, volcanologue

Classification

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Péridotite - crédits : James St. John

Péridotite

Cristal de ringwoodite - crédits : Joseph R. Smyth, University of Colorado

Cristal de ringwoodite

Cycle interne de l’eau - crédits : Encyclopædia Universalis France

Cycle interne de l’eau

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