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DONG QICHANG[TONG K'I-TCH'ANG](1555-1636)

Dong Qichang fut pour la peinture des lettrés le pape d'une orthodoxie : c'est lui qui définit de façon définitive les dogmes de cet art et prononça contre les peintres professionnels et autres hérétiques une excommunication sans appel. Si déplaisant que fût le personnage (il a laissé le souvenir d'un arriviste rusé et rapace), l'influence qu'il devait exercer sur trois siècles de peinture Qing dont il commanda les principales orientations suffirait à justifier une étude approfondie de son œuvre. Au crépuscule des Ming, l'autorité de Dong est venue supplanter celle de Shen Zhou qui avait dominé les deux premiers siècles de cette dynastie ; sans pouvoir rivaliser en sève et en vitalité avec le génie robuste de Shen, Dong a réussi à asseoir le prestige de son œuvre sur un important corps de doctrine esthétique. Son art sec et hautain est souvent d'un abord ingrat ; Dong lui-même le voulait tel, ne recherchant pas les suffrages du vulgaire, mais seulement l'approbation d'une coterie d'initiés. Pourtant une analyse plus attentive de cette peinture en révèle la complexité paradoxale : plutôt qu'une aride imitation des modèles antiques, elle paraît bien représenter la première tentative pleinement préméditée et raisonnée d'une peinture libérée de la nature et du sujet, d'une peinture pure. Pour cette raison d'ailleurs, elle a trouvé un regain d'audience auprès des connaisseurs de l'époque actuelle.

« Égorgeons Dong Qichang »

Dong Qichang a falsifié sa biographie en ce qui concerne ses origines. Ce snob rougissait de ses obscurs antécédents paysans ; une fois « arrivé », il déclara avec effronterie que sa famille « comptait des mandarins depuis dix générations ». De même il s'intitula toujours natif de Huating, alors qu'il était en fait originaire de la préfecture voisine de Shanghai : il avait fui Shanghai à dix-sept ans pour échapper à la corvée et tint toujours par la suite à dissimuler cet épisode de jeunesse, qui aurait pu trahir ses origines plébéiennes. Arrivé à Huating, il est introduit (on ignore comment) dans la maisonnée d'un notable influent, Mo Ruzhong : cela sera la chance décisive de sa vie. C'est là en quelques années que l'adolescent pauvre reçoit le meilleur de son éducation littéraire, artistique et sociale, qu'il acquiert les goûts et les façons de l'élite lettrée. Non seulement Mo Ruzhong était un calligraphe distingué, mais surtout son fils, Mo Shilong, était une personnalité de penseur génial, d'esthète et de peintre, occupant le centre d'une petite coterie d'esprits élégants. Soit négligence, soit détachement, Mo Shilong, comblé de tous les dons, ne s'était guère soucié de « faire carrière » : la mort le surprit avant qu'il ait pu édifier une œuvre capable d'assurer sa survie auprès de la postérité. Celle-ci n'a guère retenu de lui qu'un nom, et la gloire qui semblait normalement promise à ses talents échut finalement à Dong Qichang. Il est certain que le plus clair des théories esthétiques de Dong – y compris et surtout la fameuse théorie « de l'école du Sud et de l'école du Nord » – fut simplement une reprise des idées de Mo ; il y aurait cependant quelque injustice à réduire le premier aux dimensions d'un plagiaire chanceux : l'importance historique d'un artiste ou d'un penseur ne se mesure pas à des virtualités, mais à l'influence réelle qu'il a exercée sur son époque, et cette influence n'est pas simplement affaire d'idées neuves, mais tout autant d'expression, d'orchestration efficace de ces idées, et en même temps d'une capacité individuelle d'endurance et de survie. Dans ce dernier domaine, Dong se montra singulièrement doué : sa carrière officielle ne fut qu'une longue et glorieuse progression dans la dangereuse course aux honneurs. Son ascension, entrecoupée de quelques prudentes retraites, ne lui apporta pas le pouvoir réel qu'il convoitait (pour cela, du fait de ses[...]

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Écrit par

  • : reader, Department of Chinese, Australian National University

Classification

Pour citer cet article

Pierre RYCKMANS. DONG QICHANG [TONG K'I-TCH'ANG] (1555-1636) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CHINOISE CIVILISATION - Les arts

    • Écrit par Corinne DEBAINE-FRANCFORT, Daisy LION-GOLDSCHMIDT, Michel NURIDSANY, Madeleine PAUL-DAVID, Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS, Pierre RYCKMANS, Alain THOTE
    • 54 368 mots
    • 37 médias
    À la fin de l'époque Ming, un autre grand lettré, Dong Qichang (1555-1636), a exercé, par son œuvre et ses théories esthétiques et critiques, une domination incontestée sur la peinture des lettrés : toute l'orthodoxie picturale de l'époque Qing s'est fondée sur ses principes d'académisme éclectique....
  • DAI JIN [TAI TSIN] (1388-1462) & WU WEI [WOU WEI] (1459-1508)

    • Écrit par Pierre RYCKMANS
    • 1 294 mots
    ...devait plus voir en lui que le premier des « peintres de métier », tandis que Shen Zhou était promu le plus grand des peintres lettrés. Puis survinrent Dong Qichang et sa coterie, qui devaient ruiner définitivement la position de l'école du Zhejiang, attribuant aux seuls lettrés la qualité d'artistes....
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Voir aussi