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ROUGEMONT DENIS DE (1906-1985)

Écrivain suisse d'expression française en qui Saint-John Perse voyait « une figuration scientifique de l'Homo europeanus », Denis de Rougemont fut l'un des principaux animateurs du mouvement personnaliste et demeure l'un des partisans les plus ardents du fédéralisme européen. Seule, en effet, une Europe fédérée et respectant l'autonomie des régions permettrait, selon lui, de préserver les droits de la personne humaine pour lesquels il a toujours combattu. C'est déjà au nom de la liberté qu'il dénonce, dans Les Méfaits de l'instruction publique (1929) — un pamphlet qu'il rééditera en 1972 « aggravé d'une suite des méfaits » —, les tares de l'école, « distillerie d'ennui » et « machine à fabriquer des électeurs ». Ami d'Emmanuel Mounier, il participe, en 1932, à la fondation des revues personnalistes Esprit et L'Ordre nouveau. Rappelant en outre que « s'engager » ne doit pas être « s'embrigader », il préconise, comme l'indique le titre d'un essai qu'il écrit en 1934, une véritable Politique de la personne, qu'il définira également dans Penser avec les mains (1936). Moraliste et historien de l'amour, il publie en 1939 L'Amour et l'Occident. Ce livre, qui connaîtra un grand succès et dont les analyses seront complétées par Les Mythes et l'amour (1961), explique brillamment que l'amour passion n'est en réalité qu'une invention de l'Occident datant des xiie et xiiie siècles et ayant pour origine la secte des cathares. S'y trouve développée une analyse de l'amour comme pulsion — anarchique — et composante capitale de la psyché occidentale, nécessairement destinée à entrer en conflit avec l'institution du mariage.

Lorsqu'éclate la Seconde Guerre mondiale, Denis de Rougemont prend immédiatement position contre l'Allemagne hitlérienne, qu'il connaît bien depuis un séjour qu'il fit, en 1935, comme lecteur à l'université de Francfort et dont il avait rapporté un Journal d'Allemagne (1938). Après s'être interrogé, dans Mission ou démission de la Suisse (1940), sur l'attitude de son pays natal, il part pour les États-Unis où, pendant deux ans, il sera le rédacteur des émissions « La voix de l'Amérique parle aux Français ». Outre-Atlantique, il rencontre Victoria Ocampo, André Breton et Saint-John Perse, qui seront ses amis, et poursuit sa méditation sur l'homme et le monde, écrivant La Part du diable (1942), Les Personnes du drame (1945) et Lettres sur la bombe atomique (1946). De retour des États-Unis, il publie son Journal des deux mondes (1948) et, surtout, L'Europe en jeu (1948). Après les horreurs de la guerre, Denis de Rougemont est en effet plus que jamais convaincu par « la faillite retentissante des systèmes centralisateurs et du nationalisme étatisé », de la nécessité de construire sur le modèle helvétique une fédération européenne : « La Suisse, écrira-t-il dans La Suisse ou l'Histoire d'un peuple heureux (1965), est le pays dont je souhaite le plus qu'il communique sa grâce très secrète à l'avenir européen. » Denis de Rougemont travaille dès lors activement à la construction européenne, participant à la création de nombreux organismes tels que le Centre européen de la culture, le Centre européen de recherches nucléaires ou l'Association européenne de festivals de musique. Pour lui, l'Europe est avant tout, comme il le montrera dans L'Aventure occidentale de l'homme (1957) et dans Vingt-Huit Siècles d'Europe (1961), une culture et « un idéal qu'approuvent depuis mille ans tous ses meilleurs esprits ». Après avoir pesé Les Chances de l'Europe (1962), il poursuit, avec une Lettre ouverte aux Européens (1970) et avec L'Un et le[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, assistant de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Vital RAMBAUD. ROUGEMONT DENIS DE (1906-1985) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SUISSE

    • Écrit par Bernard DEBARBIEUX, Frédéric ESPOSITO, Universalis, Bertil GALLAND, Paul GUICHONNET, Adrien PASQUALI, Dusan SIDJANSKI
    • 24 373 mots
    • 9 médias
    ...rapprochent de Genève. Ainsi Guy de Pourtalès (1881-1941), le romancier de La Pêche miraculeuse (1937), le biographe inspiré des grands musiciens. Ainsi Denis de Rougemont (1906-1985), l'essayiste de L'Amour et l'Occident (1939), qui tint son Journal au fil des moments majeurs du xxe siècle...
  • TRISTAN ET ISEULT (anonyme) - Fiche de lecture

    • Écrit par Florence BRAUNSTEIN
    • 1 104 mots
    C'est à Denis de Rougemont, dans L'Amour et l'Occident (1939), qu'il revient de formuler l'interrogation qui souligne la modernité de l'œuvre : « Pourquoi préférons-nous à tout autre récit celui d'un amour impossible ? » Il semble que la réponse soit fournie par le conteur en personne...

Voir aussi