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DE L'ALLEMAGNE, Madame de Staël Fiche de lecture

Portrait de Madame de Staël, F. Gérard - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Portrait de Madame de Staël, F. Gérard

La rencontre de Germaine de Staël (1766-1817) avec l'Allemagne est autant le fruit d'un choix esthétique que de circonstances politiques. Ce choix esthétique, elle le formule ainsi dès 1802 : « L'esprit humain qui semble voyager d'un pays à l'autre est à présent en Allemagne. » Mais l'Allemagne est aussi l'occasion pour la fille de Necker, en butte à la haine de Napoléon, de diffuser un mot d'ordre de liberté dans une Europe mise en coupe réglée. De fait, le ministre de la Police Savary ordonne la mise au pilonnage des exemplaires du De l'Allemagne, avant sa sortie en 1810, et contraint son auteur à l'exil : « Votre dernier ouvrage, accuse-t-il, n'est point français. » Le livre connaîtra une seconde édition à Londres, en 1813. Quant à l'Allemagne, qui donne son titre à ce manifeste romantique, elle est ici beaucoup plus qu'un pays.

Une « région de l'âme »

L'Allemagne n'existe pas comme nation en 1810. Sans doute le titre suppose-t-il une unité qui ne manquera pas de se faire sur les ruines de l'Empire. Mais ce morcellement, cette instabilité génèrent repli sur soi, étude, indépendance : « En Allemagne, il n'y a de goût fixe sur rien, tout est indépendant, tout est individuel. L'on juge d'un ouvrage par l'impression qu'on en reçoit, et jamais par des règles, puisqu'il n'y en a point de généralement admise. » L'Allemagne, c'est d'abord le Nord, par opposition au Midi, selon la partition reprise par la théorie des climats de Montesquieu. Elle-même divisée en méridionale et septentrionale, l'Allemagne comprend aussi bien la Prusse de Frédéric II que l'Autriche et la Suisse allemande. Et si la vraie Allemagne est celle du nord, c'est d'abord de « régions de l'âme » dont il est question dans ce livre : « J. J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, etc., dans quelques-uns de leurs ouvrages, sont tous, même à leur insu, de l'école germanique. » L'architecture de l'ouvrage, construit en quatre parties, relève de cette géographie plus spirituelle que physique, l'Allemagne, bannière de ralliement aux idées nouvelles, justifiant telle incursion en Angleterre, telle réflexion sur l'amour et le mariage, ou cette question essentielle : « Pourquoi les Français ne rendent-ils pas justice à la littérature allemande ? ». La première partie présente un tableau des « mœurs des Allemands », déterminées par le sentiment. La deuxième, consacrée à la littérature et aux arts, conduit à opposer le « classicisme » français au « romantisme » allemand (un terme qui recouvre principalement ici des écrivains du Sturm und Drang), à travers notamment les œuvres de Klopstock, Lessing, Schiller, Goethe, mais aussi Herder pour l'histoire, Winckelmann pour l'esthétique, et les frères Schlegel pour la critique. La troisième intitulée « La philosophie et la morale », oppose le sensualisme de Locke et de Condillac à l'idéalisme allemand inauguré par Kant : « Lorsque [...] on est convaincu des lois immuables de l'existence morale, la société a moins de pouvoir sur chaque homme : l'on traite de tout avec soi-même. » « Nation métaphysique par excellence », l'Allemagne est aussi profondément religieuse. D'où une quatrième partie, « La religion et l'enthousiasme », qui élargit la disposition religieuse à la contemplation de la nature perçue à travers des « analogies merveilleuses » qui disent l'harmonie de l'univers. De l'Allemagne se conclut précisément sur cet enthousiasme – « Dieu en nous », comme le dit l'étymologie –, « qualité vraiment distinctive de la langue allemande », source d'inspiration et condition du bonheur.

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, maître de conférences à l'université de Poitiers

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Pour citer cet article

Anouchka VASAK. DE L'ALLEMAGNE, Madame de Staël - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Portrait de Madame de Staël, F. Gérard - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Portrait de Madame de Staël, F. Gérard

Autres références

  • DE L'ALLEMAGNE (exposition)

    • Écrit par Lionel RICHARD
    • 1 122 mots
    • 1 média

    Quoi de mieux qu’une exposition pour célébrer le cinquantenaire du traité de l’Élysée, signé par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer le 22 janvier 1963 ? Andreas Beyer, directeur du Centre allemand d’histoire de l’art à Paris, avait proposé initialement de montrer aux Français comment rayonnait...

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    ...littérature gothique succède le règne de lord Byron (1788-1824) qui enflamme la jeunesse romantique avant Walter Scott (1771-1832). Mais parallèlement, De l’Allemagne (1810) de Germaine de Staël stimule l’enthousiasme pour le pays du Werther (1774) de Goethe. Dans ce nouveau cadre mondial, Paris...

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