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DE CÉZANNE À PICASSO. CHEFS-D'ŒUVRE DE LA GALERIE VOLLARD (exposition)

L'exposition organisée par le Metropolitan Museum of Art de New York, l'Art Institute de Chicago et enfin le musée d'Orsay à Paris, consacrée au marchand et éditeur d'art Ambroise Vollard (1868-1939), était d'un incomparable plaisir pour les yeux (De Cézanne à Picasso. Chefs-d'œuvre de la galerie Vollard, respectivement du 13 septembre 2006 au 7 janvier 2007, 17 février au 12 mai 2007 et du 19 juin au 16 septembre 2007). L'accrochage parisien était en effet systématiquement organisé autour des artistes achetés, défendus et parfois découverts par Ambroise Vollard. Celui-ci ayant soutenu non seulement Cézanne et Picasso (jusqu'au cubisme, qu'il ne comprit pas), mais encore, entre autres, Degas, Renoir, Van Gogh, le Douanier Rousseau, Matisse, Rouault, les Nabis et les Fauves, il était aisé, en réunissant certaines des œuvres passées entre ses mains, de réussir une spectaculaire exposition. Il l'était peut-être moins d'évoquer directement, dans les salles, le travail du galeriste autrement que par des vitrines documentaires. On peut regretter que l'effort n'ait pas d'avantage été tenté (par exemple en essayant de reconstituer une des expositions majeures de Vollard, ou de mieux marquer son évolution esthétique au cours du temps, en insistant plus sur quelques moments clés). Telle quelle, l'exposition n'en était pas moins passionnante et complétée par un catalogue faisant le point historique sur la question, grâce notamment à une première exploration des archives de la galerie, récemment entrées par dation dans les collections publiques françaises.

Originaire de l'île de la Réunion, venu faire son droit à Montpellier, puis à Paris, Vollard se tourne très vite, dès le début des années 1890, vers le commerce d'art alors en pleine mutation, le galeriste tenant une place de plus en plus importante sur le marché de l'art. Il s'établit à son compte, d'abord en appartement, développant ses capacités financières grâce à la vente d'estampes et de dessins, puis en ouvrant sa première boutique rue Laffitte, la « rue des tableaux » comme on disait alors. Son exposition inaugurale, à l'automne de 1894, est consacrée aux Dessins et croquis de Manet provenant de son atelier. Il avait en effet passé marché avec sa veuve en acquérant tout ce qui restait encore dans l'atelier de l'artiste aux Batignolles. De la même façon, il traque, notamment en Provence, toutes les œuvres de Van Gogh qu'il peut trouver. L'exposition qu'il lui consacre, au printemps de 1895 fait quelque bruit dans les milieux de l'art. Quelques mois plus tard, il agit de même avec Cézanne, dont il s'est en quelque sorte assuré l'exclusivité en se rendant à Aix et dont il devient le premier défenseur et l'infatigable promoteur dans les années qui suivent. Sa stratégie, désormais bien établie, se fonde d'abord sur un très vaste stock, constitué le plus souvent possible à bas prix d'achat, en salle des ventes, par échange avec les artistes (ainsi avec Degas) ou directement auprès des peintres. Cézanne au premier chef dont, sans contrat ni accord, il obtient la quasi-totalité des ateliers d'Aix et de Paris, mais aussi Gauguin, Émile Bernard (109 tableaux en 1901), plus tard Derain et Vlaminck, dont il achète en bloc les ateliers en 1905 et 1906 ou encore Rouault, ce qui occasionnera d'ailleurs un procès entre ce dernier et les héritiers de Vollard. Il fait la promotion de ses acquisitions par de très nombreuses expositions, et vend quelques œuvres pour établir la cote, mais la laisse surtout monter pour ne se séparer de ses tableaux qu'au plus haut prix, comme par exemple pour les œuvres de Cézanne ou Gauguin après leur décès. Il s'oriente de surcroît assez vite vers le marché étranger, européen d'abord, puis américain. C'est chez lui que se fournirent ainsi les grands collectionneurs russes, Chtchoukine et Morozov, l'Allemand Kessler, les Américains Stein, Walter Pach et surtout le docteur Barnes. Là encore, Vollard ne se lance pas à l'aveuglette : il noue des partenariats avec d'autres galeries, qui se fournissent chez lui, et prête ses tableaux à des expositions qui les font connaître. Son sens commercial et sa réussite financière sont éclatants : en mars 1918, il abandonne la rue Laffitte pour s'établir rive gauche, dans un hôtel particulier de la rue de Martignac, à la fois sa résidence, qui est le lieu d'entrepôt de ses œuvres, et l'endroit où il reçoit amis et clients pendant vingt ans, jusqu'à son décès accidentel à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

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L'exposition faisait, à juste titre, une large place à ce qui constitue peut-être le lien le plus étroit entre Vollard et les avant-gardes esthétiques autour de 1900, à savoir son activité d'éditeur. Vollard aimait les peintres : il se lia d'une très grande amitié avec Degas, qu'il admirait profondément, ou Renoir. Il les réunissait pour des repas restés mémorables dans « la cave », une pièce sans jour de sa galerie rue Laffitte. Mais il avait aussi le goût de l'œuvre sur papier. Dès le milieu des années 1890, il commanda donc des estampes à « ses » artistes, y voyant également un moyen de diffusion et de promotion. Il sera ainsi au cœur du renouveau de l'estampe originale, et plus spécifiquement de la lithographe en couleurs ou du bois gravé, avec Vuillard, Bonnard, Roussel, Denis et Gauguin. Aux albums et aux feuilles isolées s'ajoutent bientôt le livre d'artiste et le livre illustré, et ce régulièrement jusqu'à la fin de sa vie. Tous les contemporains, des artistes aux critiques et aux amateurs, s'accordent à lui reconnaître un vrai génie d'éditeur, qui s'étend à la sculpture, celle notamment de Maillol, de Bonnard et de Renoir, ou, avec moins de bonheur commercial, aux céramiques commandées aux Fauves, entre 1905 et 1907. Car Vollard s'est aussi « trompé », en soutenant des peintres qui n'ont pas obtenu le même succès que les autres piliers de sa galerie, comme Valtat ou Jean Puy, en abandonnant Picasso après les Demoiselles d'Avignon, qu'il ne comprit pas. Malgré l'exposition, les recherches sur sa collection dispersée après sa mort, et ses portraits réalisés entre autres par Cézanne, Renoir et Picasso, qui se confondait avec son stock, dans tous les musées du monde, Vollard demeure encore aujourd'hui, une personnalité quelque peu mystérieuse : ainsi que le caractérisait Rouault, « un marchand de tableaux égaré dans la jungle ».

— Barthélémy JOBERT

Bibliographie

A. Roquebert, A. Dumas, D. W. Druick, G. Groom, R. A. Rabinow & G. Tinterow, De Cézanne à Picasso. Chefs-d'œuvre de la galerie Vollard, Réunion des Musées nationaux-Musée d'Orsay, Paris, 2007.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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