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DAI ZHEN[TAI TCHEN](1724-1777)

Une des plus fortes têtes du xviiie siècle chinois qui en compta tant, Dai Zhen, alias Dai Dongyuan, participa au grand mouvement de réforme du confucianisme qui s'attaquait au « néo-confucianisme » de l'école de Zhu Xi, devenu orthodoxie officielle depuis plusieurs siècles. Ses adversaires l'accusaient d'être entaché d'un transcendantalisme emprunté au taoïsme et, surtout, au bouddhisme indien, et contraire à l'immanentisme profond de la pensée chinoise. Il avait reçu dans sa jeunesse les leçons d'un lettré de sa province, versé dans les sciences européennes que les missionnaires jésuites avaient introduites en Chine, et ses premières œuvres portent sur les mathématiques ; on lui doit une résurrection de la littérature mathématique ancienne de la Chine, laissée en désuétude par la scolastique néo-confucianiste. Son attention se porta ensuite sur les disciplines philologiques : paléographie, phonologie et sémantique historiques, qu'il estimait indispensables pour retrouver le sens authentique des textes antiques, des « classiques » confucéens qu'il vénérait comme une bible canonique. Mais la philologie, où il brilla entre tous ses contemporains, n'était pour lui qu'un moyen d'accéder à la philosophie. Son chef-d'œuvre est une Exégèse de termes techniques du Mencius (Mengzi ziyi shuzheng, 1769-1777) ; la vérité, disait-il, s'exprime par des mots, d'où la nécessité de recourir à la philologie pour retrouver la Voie, le dao des anciens, non adultéré par les interprétations médiévales (et néo-confucianistes). Dans un autre de ses traités, Vers le principe du bien (Yuanshan, 1776), il expose les conceptions éthiques qui découlaient de ses théories : la discussion porte surtout autour des rapports entre le li, l'ordre rationnel, le nomos qui préside au cosmos, et le qi, le pneuma, l'énergie matérielle par laquelle le li se manifeste sur le plan physique. Le Moyen Âge, sous l'influence du bouddhisme, et l'école de Zhu Xi, en dépit de ses prétentions d'antibouddhisme, avaient fait du li un absolu transcendant ; Dai Zhen veut un li immanent au qi, à la nature : d'où, en morale, une réhabilitation de la vie naturelle, de l'instinct, de la passion, du désir, inhérents à la nature humaine, mais condamnés par le puritanisme néo-confucianiste. L'obligation morale (biran) n'est pas contraire à la nature (ziran) ; elle en est l'accomplissement. Le bien, pour l'homme, est de se confronter aux lois de la nature tout en les contrôlant. Il importe donc de scruter la nature pour en déceler l'ordre et les lois, le li, ce qui est un programme proprement scientifique. L'œuvre de Dai Zhen reste mal connue en Occident, bien qu'elle soit rédigée en un style d'une clarté toute mathématique.

— Paul DEMIÉVILLE

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France

Classification

Pour citer cet article

Paul DEMIÉVILLE. DAI ZHEN [TAI TCHEN] (1724-1777) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CHINOISE (CIVILISATION) - La littérature

    • Écrit par Paul DEMIÉVILLE, Jean-Pierre DIÉNY, Yves HERVOUET, François JULLIEN, Angel PINO, Isabelle RABUT
    • 47 507 mots
    • 3 médias
    ...(1736-1796) que la critique des textes canoniques atteignit son apogée. Parmi tous les savants qui s'y livrèrent alors, il n'en est pas de plus remarquable que Dai Zhen (1724-1777), qui ne fut pas seulement le plus grand philologue de ce grand siècle, mais sut aussi tirer de sa philologie les conséquences philosophiques...
  • CONFUCIUS & CONFUCIANISME

    • Écrit par ETIEMBLE
    • 14 434 mots
    • 2 médias
    ...armes, ce qui est rare en son pays, mais qui peut à la rigueur s'appuyer sur une au moins des anecdotes que nous livre Sima Qian dans sa vie de Confucius ; Dai Zhen (1724-1777) enfin, qui critiqua vivement la dialectique du li et du qi, et, sous l'influence des jésuites installés à Pékin, se passionna...

Voir aussi