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CONSPIRATIONNISME

Le déploiement d’un imaginaire

Sciences humaines et discours conspirationniste

L’objet du conspirationnisme est analysé depuis la seconde moitié du xxe siècle et son étude pose des problèmes spécifiques. Si l’étiquette « conspirationniste » peut être jugée infamante, cette dénomination prend surtout à revers celle d’« anti-complots » dont se parent eux-mêmes les dénonciateurs des prétendues conspirations. Une critique radicale de la corruption, des banques, de la finance mondialisée ou du modèle néolibéral, ne saurait être assimilée de prime abord au conspirationnisme mais, si le doute et la déconstruction du monde social partagent leurs formes avec la démarche des sciences sociales, quand la dénonciation d’intérêts puissants mondialisés se fait vague, le danger d’une confusion entre sociologie critique et logique conspirationniste peut apparaître dans certaines recherches engagées. Le basculement de tels travaux dans une logique de type conspirationniste se produit ainsi quand l’analyse pose que des intentions toutes puissantes ne rencontrent jamais aucune contrainte sociale, et affirme que les machinations cachées de certains acteurs plus ou moins visibles produisent toujours les effets attendus. Ou encore quand elle prête une connivence et un pouvoir convergent à des groupes en fait hétérogènes et aux intérêts souvent contraires (élites, minorités, banques, multinationales, lobbies, médias…), voire à des catégories sociales construites pour les besoins d’une cause, sans transposition dans la réalité (les « 1 p. 100 »). Ce réductionnisme sociologique fait fi de l’autonomie de la société civile, des rapports de force, des luttes de pouvoir et de volontés individuelles ou collectives, du poids de l’histoire et des structures sociales, ou de l’achoppement de toute action sur des circonstances que ne saurait dépasser la seule volonté des acteurs. Plusieurs travaux ont également rappelé que le rôle des universitaires n’est pas d’aider les tenants du complotisme à légitimer leurs positions en choisissant des catégories analytiques qui ne feraient que les reconduire, mais bien de travailler sur des acteurs et des mécanismes sociaux précis.

Conspirationnisme et théories du complot

Les discours conspirationnistes s’essaient à remodeler le langage. Au tournant des xixe et xxe siècles, ils cristallisent le syntagme « complot judéo-maçonnique » ou celui des « deux cents familles » qui domineraient le pays (originellement les deux cents plus gros actionnaires de la Banque de France, formant son assemblée générale), puis connotent négativement les mots et noms « synarchie », « haute finance » ou « Rothschild », ou dans leur forme contemporaine, « oligarchie », « sionistes », « élites apatrides », ou « élites mondialisées ». De même, ils ont imposé la vision de médias « officiels », là où il faudrait évoquer plutôt des médias « professionnels » ou « traditionnels ». Des récits éclatés, émanant de plusieurs sources afin de narrer un même événement (témoignages, rapports de police, articles journalistiques, appropriations politiques) sont, dans la langue du doute complotiste, unifiés et écrasés sous l’expression de « récit officiel » ou « version officielle », qui laisse penser que quelqu’un écrit et impose une histoire orientée. L’hypercritique complotiste se donnant alors pour mission de résister au « politiquement correct » et à la « pensée unique ». L’analyse du conspirationnisme implique donc de déconstruire la rhétorique qui lui est propre, à commencer par l’expression consacrée de « théories du complot », qui laisserait penser qu’il y a là une approche scientifique, pour la remplacer par l’idée d’une « mythologie », d’une « hypothèse », d’une « idéologie » du complot, ou d’une « pensée conspiratoire ». Tout un vocabulaire mieux[...]

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Emmanuel TAÏEB. CONSPIRATIONNISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Sociétés secrètes - crédits : BnF

Sociétés secrètes

Discours conspirationnistes diffusés sur un réseau social à la suite des attentats du 11 septembre 2001 - crédits : capture d'écran Facebook

Discours conspirationnistes diffusés sur un réseau social à la suite des attentats du 11 septembre 2001

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