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COLLOÏDES

Les colloïdes, ou « solutions » colloïdales, sont des mélanges (liquide, gel) qui contiennent, en suspension, des particules. Ces particules, ou objets colloïdaux, ont une taille supérieure aux molécules qui les constituent (taille supramoléculaire) mais suffisamment petite pour que le mélange demeure homogène. D'après la définition officielle, leur taille est comprise entre un nanomètre (10–9 m) et une dizaine de micromètres (soit 10–5 m). Des produits industriels tels qu'un parfum sans alcool, une peinture à l'eau ou encore une sauce vinaigrette, ainsi que des produits naturels tels que le lait, sont des exemples de solutions colloïdales. Dans tous les cas, ces mélanges doivent posséder une stabilité suffisante pour être fonctionnels : une peinture qui décante, le lait qui « tourne » ou un vin qui dépose de façon trop importante ne répondent plus à leurs fonctions.

Lorsque l'on veut « solubiliser » dans un solvant, de l'eau par exemple, un produit insoluble tel que de l'huile ou un pigment hydrophobe (qui n'aime pas l'eau), on prépare donc une solution colloïdale. Pour cela, on disperse dans le solvant le produit hydrophobe sous la forme de petites particules afin que le mouvement brownien, conséquence de l'agitation des molécules du solvant, maintienne l'homogénéité de cette dispersion. Un mélange colloïdal peut être thermodynamiquement stable, ce qui signifie qu'il n'évolue pas avec le temps si les paramètres thermodynamiques (température, pression...) ne changent pas (on parle alors de stabilité thermodynamique). Cependant, la plupart des colloïdes sont en fait métastables, c'est-à-dire qu'ils se modifient au bout d'un certain temps, qui peut être long (la stabilité est alors cinétique). Dans ce cas, le retour à une séparation de phases entre les phases hydrophile et hydrophobe doit être suffisamment lent pour que l'utilisation de la suspension puisse se faire dans des conditions raisonnables.

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Les colloïdes occupent une place importante dans la nature et dans l'industrie. Les industries chimiques, en particulier, ont vu s'accroître, depuis les années 1960, l'importance de la formulation qui, très souvent, a pour but de préparer, sous forme colloïdale, des mélanges complexes. Les colloïdes sont à l'origine d'innovations importantes, notamment de l'amélioration de nombreux produits et procédés de fabrication. On citera, par exemple, le remplacement des solvants organiques, généralement utilisés dans la peinture ou dans les colles, par des suspensions aqueuses colloïdales de latex, de pigments et de résines qui a conduit à des produits « sans odeurs ». Ceux-ci, moins nocifs pour l'environnement et plus agréables pour l'utilisateur, sont toutefois souvent très difficiles à mettre au point.

Systèmes à l'équilibre thermodynamique

Les systèmes colloïdaux qui sont réellement à l'équilibre thermodynamique, c'est-à-dire qui correspondent à des systèmes parfaitement stables, sont principalement des solutions de molécules dites amphiphiles. Les molécules amphiphiles, ou tensioactifs, sont des molécules qui possèdent une partie soluble dans l'eau constituée d'un groupe polaire (partie hydrophile) et une autre partie soluble dans l'huile correspondant généralement à une ou plusieurs chaînes aliphatiques (partie lipophile ou hydrophobe). Ce caractère amphiphile que possèdent ces molécules est à l'origine de l'une de leurs propriétés les plus importantes : celle de s'associer en milieu aqueux pour constituer des particules colloïdales.

La forme et la taille de ces agrégats dépendent des propriétés des molécules qui les constituent et peuvent prendre des aspects divers. Plus précisément, les tailles respectives de la partie polaire et de la partie aliphatique des molécules permettent de mieux comprendre la forme des agrégats. Pour cela, il faut considérer la courbure de l'interface formée par l'ensemble de ces molécules à la jonction des parties polaire et non polaire de l'objet. Cette notion de courbure, très importante, est connue sous le nom de H.L.B. (Hydrophilic Lipophilic Balance ; équilibre hydrophile-lipophile) : c'est une échelle permettant de classifier les tensioactifs non ioniques selon leurs propriétés. Ainsi on a pu caractériser des micelles sphériques, objets de taille finie dont l'interface est très courbée ; des micelles cylindriques dont la longueur peut atteindre plusieurs micromètres, avec une interface modérément courbée ; et enfin des membranes qui sont des objets faits de bi-couches de tensioactifs dont la courbure de l'interface est nulle. Lorsque de l'huile est ajoutée à l'eau et au tensioactif, on peut obtenir des microémulsions. Quelle que soit la forme de ces agrégats, ces systèmes en solution sont à l'équilibre thermodynamique : de ce fait, il existe un échange continuel des molécules d'un agrégat vers un autre, qu'il soit direct (collision-séparation) ou indirect (les molécules isolées de tensioactifs dans le solvant s'échangent avec celles des agrégats).

Les micelles sphériques

Lorsque l'on solubilise des molécules tensioactives dans l'eau, à très basse concentration et au-dessous d'une concentration micellaire critique (C.M.C.), les molécules sont dispersées de façon homogène et on a une solution moléculaire vraie. Au-dessus de la C.M.C., les molécules s'assemblent spontanément pour former de petits objets sphériques dont le diamètre est typiquement de l'ordre de trois nanomètres et qui correspondent à l'agrégation de moins de cent molécules : ce sont des micelles. Classiquement, la valeur de la C.M.C. est comprise entre 10–3 et 10–6 molaire. Une solution micellaire est transparente bien que très légèrement bleutée, peu visqueuse, et ne se différencie que très peu d'une solution aqueuse vraie. On peut cependant mesurer un changement de comportement de l'interface air-solution aqueuse lors de la formation de micelles. En effet, la tension superficielle entre l'air et le mélange baisse typiquement de 80 millinewtons par mètre (mN/m) à 30 mN/m, lorsque l'on augmente la concentration en tensioactifs, avant d'atteindre la C.M.C., puis sature à une valeur pratiquement constante au-dessus (saturation de l'interface). On peut ainsi, en mesurant la tension superficielle de la solution, connaître précisément la valeur de la C.M.C. La diffusion de la lumière ainsi que la conductimétrie sont des techniques alternatives permettant aussi de déterminer la C.M.C.

Les micelles cylindriques

Lorsque la forme des molécules de tensioactifs est adaptée, les agrégats micellaires peuvent prendre la forme de cylindres dont le diamètre a environ la taille d'une micelle (3 nm) mais dont la longueur peut atteindre plusieurs micromètres. Ces longs fils sont flexibles et peuvent, selon bien des aspects, être assimilés à des polymères. Cependant, contrairement aux polymères classiques, leurs longueurs résultent d'un équilibre thermodynamique et dépendent donc de paramètres tels que la température, la concentration, la force ionique etc. Par exemple, la longueur de ces micelles cylindriques augmente régulièrement avec la concentration en tensioactifs. Comme pour les polymères, on peut avoir des domaines de concentration où le mélange peut être considéré comme dilué (très faible concentration de tensioactifs, ces objets étant isolés les uns des autres), puis, en augmentant la concentration en tensioactifs, on obtient des mélanges semi-dilués (où les agrégats micellaires sont enchevêtrés dans l'espace). Dans ce dernier cas, la viscosité des solutions peut être particulièrement élevée au point de donner de véritables gels viscoélastiques. Éventuellement, à des concentrations encore plus élevées, on forme des phases cristal-liquide où les micelles s'orientent toutes dans la même direction (phase nématique) mais dont la position peut aussi s'organiser selon un réseau cristallin (phase hexagonale).

Phases de membranes

Lorsque la courbure des interfaces entre les domaines hydrophiles et lipophiles est nulle, les molécules de tensioactifs s'organisent sous la forme de bi-couches formant ainsi des surfaces (objets bidimensionnels). Une surface de taille finie a la particularité de voir la longueur de ses bords augmenter proportionnellement avec la taille de l'objet ; ce qui n'est pas le cas d'objets linéaires (micelles cylindriques) dont les bords (les extrémités) ne changent pas de taille lorsque la longueur du cylindre augmente. C'est le coût énergétique des bords qui est responsable de la taille des objets. De ce fait, les bi-couches éviteront la formation de bords. Pour cela, trois organisations de bi-couches dans l'espace existent : les vésicules, les phases lamellaires et les phases « éponges ».

Une phase de vésicules correspond à une organisation des bi-couches sous la forme d'un grand nombre d'objets sphériques encapsulant une certaine quantité d'eau. La taille de ces vésicules, fixée par un équilibre thermodynamique, est typiquement de 10 à 1 000 nm. Il ne faut pas confondre ces structures spontanées résultant d'un équilibre thermodynamique avec les vésicules préparées à partir d'une phase lamellaire par extrusion ou par un traitement aux ultrasons et qui sont métastables (en général, ces vésicules sont de taille supérieure).

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Une phase lamellaire est une phase cristal-liquide ( « smectique A », dans la nomenclature des phases mésomorphes) correspondant à un empilement périodique de bi-couches plates séparées les unes des autres par une épaisseur d'eau. Ces phases sont obtenues très couramment, lorsque la concentration en tensioactifs est élevée (30 à 90 p. 100 en poids). Dans certains cas, des systèmes intéressants ont pu être stabilisés sous la forme de phases lamellaires homogènes pour des concentrations beaucoup plus faibles (jusqu'à moins de 1 p. 100 en poids). La distance entre deux bi-couches varie, en fonction de la concentration en tensioactifs, de quelques nanomètres à plus d'un micromètre pour les phases les plus diluées.

Le cas des phases éponges est intéressant car il correspond à une organisation très particulière de la dispersion d'une membrane dans l'espace. Ces phases sont formées de membranes connectées aléatoirement dans l'espace pour donner une structure désordonnée ayant l'aspect de la surface d'une éponge. Les propriétés de ces phases, découvertes à la fin des années 1980, sont particulièrement intéressantes bien qu'elles posent de nombreux problèmes, en particulier celui de la compréhension des surfaces aléatoires fluctuantes.

Les phases microémulsions

Lorsque l'on ajoute de l'huile à un mélange micellaire, on peut dissoudre une faible quantité de cette huile au cœur des micelles, sans modifier la structure micellaire. Dans certains cas, en choisissant judicieusement le bon mélange de tensioactifs, il est possible de solubiliser de grandes quantités d'huile. On obtient ainsi des phases qui sont appelées microémulsions car leur structure peut éventuellement rappeler celle des émulsions (gouttelettes d'huile dans l'eau ou d'eau dans l'huile) bien que la taille des gouttelettes soit sensiblement plus petite que celle des émulsions (de 10 à 100 nm au lieu du micromètre). Cependant, la différence essentielle réside dans l'état de ces mélanges : les émulsions sont des états métastables alors que les microémulsions sont stables. D'un point de vue microscopique, les gouttelettes des microémulsions se recombinent ensemble et se reséparent spontanément sous l'effet des fluctuations thermiques alors que dans les émulsions un tel échange n'a pas lieu de façon réversible.

Les phases microémulsions ne sont pas toujours constituées de gouttelettes. Lorsque l'on approche d'un mélange équilibré en eau et en huile, on obtient une structure bicontinue qui remplit l'espace de domaines d'eau et d'huile interconnectés et toujours séparés par un film moléculaire de tensioactifs. Ces phases ont des propriétés intéressantes, en particulier lorsqu'une phase microémulsion coexiste avec un excès d'eau et d'huile (ce qui arrive lorsqu'on ne met pas assez de tensioactifs). Dans ce cas, les tensions superficielles entre les domaines d'eau, d'huile et de microémulsions sont très basses (environ 0,01 mN/m, soit plus de mille fois plus faibles que les tensions obtenues avec une solution classique de tensioactifs). La faible valeur de cette tension superficielle s'explique par l'existence de domaines eau-huile de taille supramoléculaire. Ce sont ces propriétés de solubilisation et de tension superficielle basse qui sont à l'origine de l'intérêt de ces systèmes en vue d'applications industrielles.

Applications industrielles des mélanges de tensioactifs stables

L'application industrielle la plus importante des solutions colloïdales stables concerne le domaine des détergents. Dissoudre des corps hydrophobes (graisses, poussières, pigments, etc.) est la caractéristique des solutions micellaires. Les propriétés de surface de ces solutions sont aussi importantes. Il faut distinguer les détergents, qui sont généralement des molécules dont la tête polaire est non ionique (non chargée) ou bien anionique (chargée négativement après dissolution dans l'eau), des adoucissants, qui sont généralement des tensioactifs cationiques (chargés positivement).

Les microémulsions constituent un cas très particulier d'applications. On citera principalement les formulations à relativement haute valeur ajoutée où l'on veut préserver l'aspect transparent du produit et éviter l'ajout de molécules cosolubilisantes de type alcool. C'est le cas par exemple des parfums sans alcool.

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L'industrie pétrolière a aussi envisagé l'utilisation des microémulsions (principalement pour leurs propriétés de très basses tensions superficielles) pour « laver » les roches constituant le gisement afin de prolonger l'exploitation des réserves en place au-delà de ce que permettent les techniques habituelles de récupération (jaillissement naturel, injection d'eau ; réinjection de gaz).

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., centre de recherche Paul-Pascal, Pessac

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