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CLUSTER, musique

C'est en 1912 que le compositeur américain Henry Cowell (1897-1965) inaugure une nouvelle technique pianistique – le jeu simultané de la totalité des notes adjacentes comprises entre deux limites – qui conduit à la création de « grappes » de sons de « densité » variable selon que celles-ci sont obtenues avec le poing, le plat de la main ou l'avant-bras. Il nomme tone clusters ces agrégats sonores plus ou moins étendus, dans lesquels aucune des notes qui les composent n'est perceptible individuellement. Ceux-ci apparaissent pour la première fois dans sa pièce pour piano seul Adventures in Harmony (A Novelette), datant de 1913. Cowell en généralise l'utilisation après sa rencontre avec le pianiste Leo Ornstein, en 1916.

Dans son ouvrage New Musical Ressources, entamé vers 1917 – époque d'une autre pièce pour piano recourant aux clusters, The Tides of Manaunaun – mais publié seulement en 1930, Cowell précise les divers aspects de son invention, qu'il divise en premier lieu en « petit cluster » et en « grand cluster ». S'il faut au moins trois sons adjacents – diatoniques ou chromatiques – pour réaliser un petit cluster, il n'existe aucune restriction sur le nombre de notes et leur étendue (ambitus) pour en créer de grands. Cowell définit par ailleurs des clusters fixes, des clusters mobiles et des clusters « en harmoniques », obtenus, au piano, par « touches discrètement enfoncées dans l'aigu du clavier alors que des clusters sporadiques sont joués dans le grave ».

En fait, le « cluster » est une extension de la notion d'accord qui recouvre des réalités bien différentes. Le cluster pianistique se prête en effet, bien entendu, à d'infinies possibilités d'attaques et de touchers, et favorise les phénomènes de résonance, tels que les exploiteront Karlheinz Stockhausen dans son Klavierstück X (1954-1961), Maurice Ohana dans ses 24 Préludes pour piano (1972-1973), Iannis Xenakis dans Mists (1981), ou encore Helmut Lachenmann dans sa cinquième pièce de Ein Kinderspiel (1981). À titre d'exemple, Le Klavierstück X comporte une échelle de sept densités de clusters : de 3 notes, de quarte (6 notes), de sixte (10 notes) et de neuvième (15 notes), jouées avec le plat de la main ; de 21, 28 et 36 notes, jouées avec l'avant-bras.

Dans la seconde moitié du xxe siècle, la technique du cluster investira les petites formations puis le grand orchestre, et se généralisera à tous les instruments « polyphoniques » (harpe, clavecin, orgue...). Chez Cowell, on trouve ainsi des clusters dans son Cinquième Quatuor à cordes (1956) et dans sa Sixième Symphonie (1952). Un autre exemple célèbre de la généralisation des clusters est fourni par Atmosphères, de György Ligeti (1961), pièce pour grand orchestre qui est caractérisée par la superposition sur une même hauteur de « grappes » de différents instruments dont la répartition varie peu à peu (et non plus, comme dans le cas du piano, par la superposition de différentes hauteurs). En outre, depuis son invention, le cluster s'est développé en acceptant les sons non adjacents.

Les clusters se sont donc acclimatés à toutes les formes et à tous les langages musicaux, un de leurs domaines d'élection étant, bien entendu, celui des micro-intervalles (clusters composés d'un grand nombre de quarts de ton et de demi-tons, par exemple).

— Alain FÉRON

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Écrit par

  • : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio

Classification

Pour citer cet article

Alain FÉRON. CLUSTER, musique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ATMOSPHÈRES (G. Ligeti)

    • Écrit par Juliette GARRIGUES
    • 284 mots

    Le 22 octobre 1961, Atmosphères est créé au festival de Donaueschingen. Cette œuvre de György Ligeti constitue l'acte de naissance de la musique dite statique, qui marque une mutation profonde – mais non pas l'abolition – de l'essence même du sérialisme et du postsérialisme, la discontinuité...

  • CORRETTE MICHEL (1709-1795)

    • Écrit par Pierre-Paul LACAS
    • 597 mots

    L'un des précurseurs de la symphonie française à qui l'on doit de nombreux concertos, surtout pour instruments à vent ; il est le premier en France à avoir publié un concerto pour flûte (opus 4). Son père, Gaspard Corrette, composa notamment une Messe du huitième ton pour l'...

  • COWELL HENRY DIXON (1897-1965)

    • Écrit par Alain FÉRON, Juliette GARRIGUES
    • 1 588 mots
    ...New York et dans le Kansas ; tous deux regagnent Menlo Park vers 1910. Cowell se souviendra de ces pérégrinations dans Old American Country Set (1939). Ses premiers essais de composition datent de 1907 mais c'est dans ses pièces pour pianoAdventures in Harmony (1913) et The Tides of Manaunaun (datant...
  • NOTATION MUSICALE

    • Écrit par Mireille HELFFER, Alain PÂRIS
    • 5 199 mots
    • 14 médias
    ...des notes précises (le son le plus aigu ou le plus grave de l'instrument, oscillations autour de la note n'excédant pas un quart de ton...). Quant aux clusters, ce sont des amalgames regroupant tous les sons compris entre les deux notes extrêmes. Ils peuvent s'enchaîner les uns aux autres sous forme de...

Voir aussi