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BALDR

Dans le panthéon nordique, le dieu Ase (appelé Baldr) détonne. Fils d'Ódhinn et de Frigg, aimable, pur, équitable, il impressionne par sa douceur, sa sagesse, sa miséricorde et sa serviabilité, toutes qualités qui ne correspondent pas exactement à ce qu'on peut savoir de l'éthique nordique ancienne, au moins à l'époque où on la découvre par les textes, c'est-à-dire à l'âge viking. Baldr est beau et il est bon. Le fils qu'il a eu de son épouse, Nanna, sera d'ailleurs un jour dieu de la Justice : Forseti (en frison, Fosite). Dans Ásgardhr, la vaste enceinte où habitent les dieux, il réside à Breidhablik (Large Éclat). Lorsque le monde aura sombré, au jour du Destin des Puissances (Ragnarök), il ressuscitera et présidera à la régénération universelle.

Jusque-là, tout donne à penser qu'il s'agit d'une divinité solaire, le soleil jouissant d'un culte notoire dans le Nord, au moins pendant l'âge du bronze scandinave (~ 1500-~ 400), non seulement parce qu'il est décrit comme « le plus blanc des Ases », mais parce que maints traits ou mythes qui lui sont attribués rappellent Baal, Tammuz, Adonis (dont le nom signifie « seigneur », tout comme le mot baldr). Et son caractère passif frappe : très peu d'actions mémorables ou d'activités notoires lui ont été assignées.

Toutefois, plusieurs mythes le concernant directement laissent perplexes les commentateurs, et d'abord celui de sa mort. Grâce aux sortilèges de sa mère, Frigg, il a été rendu invulnérable, et les dieux s'amusent à lui lancer toutes sortes d'armes et de projectiles pour vérifier cette immunité. Mais Loki, le dieu du Mal, sous un déguisement, a circonvenu la plus humble des plantes, le gui (mistilsteinn), qui n'a pas accédé, par conséquent, à la requête de Frigg. Loki arme le bras du frère de Baldr, Hödhr, qui est aveugle et dont le nom signifie « combat », d'une flèche de gui et guide son tir : Baldr tombe, transpercé. La consternation est universelle. On dépêche aux Enfers un autre fils d'Ódhinn, Hermódhr, qui constate que Baldr est bien assujetti à la hideuse Hel, déesse du royaume des morts. Celle-ci finit par se laisser fléchir : elle rendra Baldr au monde des dieux si toutes les créatures vivantes pleurent sa disparition. Voilà donc Frigg partie demander à tout ce qui vit, hommes, animaux et plantes, de pleurer Baldr. Et tous acceptent, à l'exception d'une affreuse vieille, Thökk, qui n'est autre que Loki encore une fois travesti. Baldr restera donc au royaume de Hel. Les dieux lui ont d'ailleurs fait un enterrement magnifique : on l'a couché dans son bateau, qu'on a lancé à la mer après y avoir mis le feu.

Il est clair pour tout le monde qu'on a affaire là à un complexe très impur. D'une part, les influences proprement chrétiennes sont évidentes en cette histoire. Le dieu bon, immolé par pure méchanceté, victime directe de l'esprit du Mal, mais voué à présider à la renaissance transfigurée, c'est aussi le Christ, « Blanc-Christ » comme disaient les Nordiques païens. Le Moyen Âge est plein de légendes chrétiennes qui constituent autant de parallèles frappants avec les mythes de Baldr : par exemple, celle de l'aveugle Longin transperçant le Christ de sa lance ou l'histoire de Judas qui dissuade une essence d'arbre de refuser de constituer le bois de la croix de Jésus. Magnus Olsen soutenait que le culte de Baldr est celui du Christ introduit dans le Nord sous un déguisement païen, en 700 environ ; cette explication n'est pas à exclure. Le paganisme finnois a connu, lui aussi, de telles similitudes, à propos du sort ultime réservé à Lemmikainen dans le Kalevala.

D'autre part, les toponymes inspirés de Baldr renverraient avant tout au culte des forces naturelles : mont[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. BALDR [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • FRAZER JAMES GEORGE (1854-1941)

    • Écrit par Nicole BELMONT
    • 3 470 mots
    ...pourquoi le successeur du roi devait-il casser une branche de l'arbre sacré ? Frazer fait alors appel à une divinité de la mythologie scandinave ancienne : Balder, le plus beau, le plus sage, le plus aimé des dieux. Il est tué par une branche de gui lancée par Hother, le dieu aveugle, dont le bras a été armé...
  • MYTHOLOGIES - Dieux des peuples "barbares"

    • Écrit par Régis BOYER, Universalis, Pierre-Yves LAMBERT
    • 7 989 mots
    • 1 média
    ...marteau » Mjöllnir (la foudre), qui incarne la force et la guerre, assurément, mais encore la fécondité (la pluie suivant l'orage) et aussi la magie. Quant à Baldr, dont la figure statique détonne un peu dans cet univers, si ce n'est pas un avatar passablement dévalué d'un archétype inconnu, il peut...

Voir aussi