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APARTHEID

Des bantoustans aux États noirs

Tandis que la séparation verticale des races concerne toutes les communautés, la politique des bantoustans ne vise que la communauté africaine, la grande majorité des non-Blancs. Mais, en trente ans, cette politique a subi des inflexions nombreuses et, à certains égards, elle demeure fluide. La création des bantoustans a été un pari qui apparaît perdu en cette fin du xxe siècle.

Au départ, elle était présentée comme le volet positif de l'apartheid, la ségrégation étant par définition l'aspect négatif destiné à disparaître à terme une fois que les bantoustans seraient complètement structurés. Trois idées directrices inspiraient le système des bantoustans : délimiter l'espace territorial affecté en exclusivité aux différentes ethnies bantoues, assurer le développement dans le cadre d'une économie essentiellement agraire, mettre en place une infrastructure administrative adaptée aux traditions de ces populations afin de leur permettre de disposer d'une réelle autonomie de gestion. Les bantoustans prenaient ainsi le relais des «  réserves » africaines (environ 260) créées à partir de 1850 à l'époque où les guerres cafres faisaient surgir au premier plan le problème crucial de l'appropriation des terres par les colons blancs, principalement afrikaners. Après le Land Act de 1913 qui avait tenté de déterminer la superficie globale idéale, une loi de 1936 avait fixé « définitivement » le chiffre total des terres à allouer aux Bantous ainsi que les conditions du rachat par l'État aux colons des propriétés incluses dans ce schéma. Avec ce rachat, achevé à 90 p. 100 en 1979, les ethnies bantoues disposent de 13,7 p. 100 de l'ensemble du territoire de la République, terres ancestrales qui ne sont pas toujours parmi les plus fertiles. C'est sur cette base qu'avait travaillé la célèbre commission Tomlinson dont le volumineux rapport publié en octobre 1954 proposait la création de sept ou huit bantoustans. Elle estimait que le projet était viable mais à condition que l'État fasse les énormes investissements nécessaires à la modernisation indispensable de l'infrastructure. Le rapport concluait à un « acte de foi » et donnait en conclusion cet avertissement : « Le choix est clair : ou bien il faut accepter et relever le défi, ou bien il faudra subir les conséquences inévitables de l'intégration des Africains et des Européens dans une société mixte. »

C'est le Premier ministre Verwoerd (1958-1966) qui donne l'impulsion à la création des bantoustans (ou Homelands) malgré les critiques émises à l'extérieur, et aussi dans certains milieux sud-africains blancs, contre ce projet de « balkanisation » : à l'inégalité du « partage » des terres entre Bantous et Européens s'ajoute en effet une fragmentation territoriale qui fait de certains bantoustans des États « parcellisés » à l'extrême dont les morceaux sont entrecoupés par le territoire de la République. Le Transkei (capitale Umtata) fut le premier bantoustan créé en mai 1963. Vaste comme le Danemark, peuplé d'environ 1,5 million d'habitants appartenant essentiellement à l'ethnie Xhosa, il offrait sans doute par son unité géographique et par ses caractères économiques et culturels un terrain convenable pour cette expérience d'autonomie. Les autres bantoustans à venir ne bénéficieront pas tous, tant s'en faut, de la même situation. Cette politique pour Verwoerd répondait à deux objectifs principaux. D'une part résoudre à terme le problème de l'emploi dans le cadre de l'apartheid en développant l'économie de ces « foyers nationaux » bantous (à travers les investissements du Bantu Investment Corporation) et en décentralisant au maximum les industries européennes, leur installation[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé à l'université d'Aix-Marseille-III, ancien doyen de la faculté de droit et des sciences économiques de l'université de Madagascar
  • : professeur agrégé, enseignant à Sciences Po Bordeaux, spécialiste de l'Afrique du sud, rattaché au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM)

Classification

Pour citer cet article

Charles CADOUX et Benoît DUPIN. APARTHEID [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

1945 à 1962. La décolonisation - crédits : Encyclopædia Universalis France

1945 à 1962. La décolonisation

Passeport obligatoire - crédits : Central Press/ Hulton Archive/ Getty Images

Passeport obligatoire

Steve Biko, 1977 - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Steve Biko, 1977

Autres références

  • FIN DE L'APARTHEID EN AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par Olivier COMPAGNON
    • 219 mots
    • 1 média

    En février 1991, le président sud-africain Frederik De Klerk annonce son intention de mettre un terme au régime d'apartheid (le terme signifie « séparation » en afrikaans) qui, depuis 1948, fait de la ségrégation raciale la clé de voûte de la vie politique, sociale et économique de son pays....

  • ABRAHAMS PETER (1919-2017)

    • Écrit par Universalis
    • 390 mots

    Romancier sud-africain de langue anglaise, Peter Henry Abrahams naît le 19 mars 1919 à Vrededorp, près de Johannesburg. Fils d’un Éthiopien et d’une métisse du Cap, il quitte l'Afrique du Sud à l'âge de vingt ans et s'installe d'abord en Grande-Bretagne puis à la Jamaïque. C'est néanmoins sa jeunesse...

  • AFRIQUE AUSTRALE

    • Écrit par Jeanne VIVET
    • 6 100 mots
    • 5 médias
    ...mécanisme d’exclusion socio-spatiale, n’est pas spécifique à l’Afrique australe, mais la mise en place d’une ségrégation à l’échelle régionale est propre à l’apartheid tel qu’il est conçu en en Afrique du Sud (1948-1994), en Namibie et au Zimbabwe. Ainsi, les populations non blanches sans contrat de travail...
  • AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par Ivan CROUZEL, Dominique DARBON, Benoît DUPIN, Universalis, Philippe GERVAIS-LAMBONY, Philippe-Joseph SALAZAR, Jean SÉVRY, Ernst VAN HEERDEN
    • 29 784 mots
    • 28 médias
    ...desquelles les droits des non-Blancs étaient restreints. C'est le National Party (NP), arrivé au pouvoir en 1948, qui systématisa cette ségrégation spatiale dans le cadre du système d'apartheid. La politique du petit apartheid imposait la ségrégation des lieux publics. Le grand apartheid définissait les zones...
  • BESTER WILLIE (1956- )

    • Écrit par Universalis, André MAGNIN
    • 1 191 mots

    Le peintre et sculpteur Willie Bester, aîné d'une famille de sept enfants, est né en 1956 à Montagu, province du Cap, Afrique du Sud. Il avait dix ans quand le Group Areas Act du gouvernement d'apartheid obligea les siens à quitter leur ferme pour intégrer un homeland où étaient regroupés...

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Voir aussi