Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GRAMSCI ANTONIO (1891-1937)

Du léninisme à l'antifascisme

Au lendemain de la controverse avec Tasca sur les rapports entre conseils et syndicats, Gramsci se retrouve isolé au sein du socialisme turinois. La majorité de l'aile révolutionnaire soutient les positions intransigeantes du courant « abstentionniste » (hostile à la participation aux élections) d'Amedeo Bordiga, et sa principale minorité (Togliatti, Tasca), une position « électionniste ». Gramsci refuse ce choix au nom de la priorité de l'action de masse, mais personne ne le suit. Il retrouve une position prédominante à l'occasion des grandes grèves accompagnées d'occupations d'usines qui se déroulent en septembre et octobre 1920, dans lesquelles les conseils turinois sont en flèche en tentant d'autogérer les établissements et où les ordinovistes sont les seuls à tirer toutes les conclusions d'une situation que Gramsci avait définie ainsi dès avril 1920 : « La phase actuelle de la lutte de classe en Italie est celle qui précède, soit la conquête du pouvoir politique par le prolétariat révolutionnaire, soit une terrible réaction de la part de la classe propriétaire et de la caste au pouvoir. » Mais le P.S.I. et la C.G.I.L., tiraillés entre les partisans du compromis avec le patronat et les tenants d'un révolutionnarisme purement verbal, renoncent à l'affrontement. Désormais Gramsci estime que la lutte prioritaire se déroule dans le parti. Dès mai 1920, il est le principal rédacteur d'une motion ordinoviste, Pour une rénovation du parti socialiste, qui sera explicitement approuvée par Lénine au IIe congrès de l' Internationale communiste, malgré les protestations de Serrati et de Bordiga.

Ce succès est sans lendemain, du fait qu'il n'y a pas d'ordinovistes hors de Turin. Ceux-ci assistent passivement au débat Serrati-Bordiga et sont minoritaires au sein de la fraction communiste qui fait scission au congrès de Livourne en janvier 1921.

Au sein du P.C. italien contrôlé par les abstentionnistes, Gramsci joue un rôle secondaire ; il est pourtant le seul à mettre au premier plan la lutte contre le fascisme. Proposant en 1921 une analyse précise de la base sociale du fascisme, qui est constituée par la petite bourgeoisie, et de son idéologie (« Le Peuple des singes », dans l'Ordine Nuovo du 2 janvier 1921), il souligne la nécessité de prendre au sérieux ce mouvement et d'appuyer la résistance antifasciste, même non communiste (les Arditi del popolo). Isolé et non suivi, Gramsci est envoyé à Moscou, où il est intégré à l'exécutif de l'Internationale communiste et d'où il apprendra l'événement de la « marche sur Rome ».

À Moscou, Gramsci prend progressivement ses distances par rapport à Bordiga. Il appuie les tentatives de fusion avec les socialistes maximalistes de Serrati (qui échoueront pour l'essentiel) et devient l'homme de l'Internationale pour l'Italie. Après l'arrestation de Bordiga en février 1923 et afin d'éviter que Tasca ne prenne sa succession, l'Internationale communiste décide la constitution d'une nouvelle direction autour de Gramsci. De Vienne, celui-ci renoue les contacts avec les anciens ordinovistes, à qui il propose une stratégie fondée sur l'alliance des ouvriers du Nord et les paysans du Mezzogiorno. En février 1924, il organise la fusion avec le résidu des socialistes maximalistes (Serrati) et lance l'Unità ; en avril, il est élu député aux élections, à l'occasion desquelles, dans un climat de terreur, est assassiné le député socialiste Matteotti.

Installé à Rome, Gramsci appuie la sécession parlementaire, mais, devant l'incapacité des partis démocratiques à organiser une résistance unie, il décide de retourner au Parlement, avec les députés communistes, défier Mussolini.

Encore minoritaire dans le[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur de science politique à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Hugues PORTELLI. GRAMSCI ANTONIO (1891-1937) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ITALIE - Langue et littérature

    • Écrit par Dominique FERNANDEZ, Angélique LEVI, Davide LUGLIO, Jean-Paul MANGANARO
    • 28 412 mots
    • 20 médias
    C'est là une véritable maladie nationale. Antonio Gramsci en faisait remonter la cause à la fracture qui marqua la fin des communes libres du Moyen Âge et l'avènement des principautés de la Renaissance. Tandis qu'au temps des Communes la langue utilisée pour écrire était vraiment la langue...
  • PCI (Parti communiste italien)

    • Écrit par Paul-Jean FRANCESCHINI
    • 1 322 mots
    • 1 média

    Celui qui devint « le plus puissant parti communiste du monde non communiste » avait été fondé au congrès de Livourne en 1921. Le Parti communiste italien (P.C.I.) ne regroupe d'abord que la minorité ultragauche du Parti socialiste dirigé par Amadeo Bordiga et le groupe qui, autour d'Antonio...

  • SOCIALISTES ART DANS LES PAYS

    • Écrit par Robert ABIRACHED, Louis MARCORELLES, Jean-Jacques NATTIEZ
    • 12 602 mots
    • 8 médias
    ...raidissement esthétique correspond à l'abandon des objectifs révolutionnaires en politique. En ce domaine, le dernier mot revient au marxiste italien Gramsci qui écrivait : « Si l'art éduque, il le fait en tant qu'art et pas en tant qu'art éducatif, car s'il est art éducatif, il cesse d'être art, et...
  • SUBALTERN STUDIES

    • Écrit par Claude MARKOVITS
    • 1 699 mots
    ...tel Edward P. Thompson. À Mao, Guha empruntait avant tout son populisme révolutionnaire, son éloge de la révolte (« on a raison de se révolter »). Mais le marxisme ouvert de Gramsci, dans ses Quaderni del carcere (1947-1951), rapidement traduits en anglais, constituait la référence théorique la plus revendiquée...

Voir aussi