Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DISDÉRI ANDRÉ ADOLPHE EUGÈNE (1819-1889)

Le photographe Disdéri a souffert de la comparaison un peu injuste entre son œuvre et celle de son contemporain et concurrent, le célèbre portraitiste Nadar. On lui reprochait en effet d'avoir abaissé la pratique du portrait photographique au rang d'une fructueuse opération commerciale et d'avoir ainsi délibérément galvaudé l'esthétique du genre. Une telle interprétation était trop réductrice, et désormais l'œuvre de Disdéri est analysée selon de nouveaux critères d'appréciation.

Disdéri est né à Paris. En 1848, il ouvre un premier atelier de photographie à Rennes. Il s'installe à Paris en 1854 et ouvre au 8, boulevard des Italiens le plus grand studio de photographie de la capitale. En novembre de la même année, il dépose un brevet pour un nouveau type de portrait, qu'il dénomme « carte de visite ». Il s'agit d'un portrait de format réduit (6 cm × 9 cm), le portrait-carte, obtenu au moyen d'une chambre spéciale munie de quatre ou six objectifs. Cette chambre permet d'obtenir, en une seule pose, quatre ou six portraits identiques du même modèle. Si l'on y adjoint un châssis mobile permettant de faire glisser la plaque sensible au fond de la chambre, on peut, en plusieurs prises, effectuer jusqu'à huit portraits différents du même modèle sur une seule plaque. Ce procédé présente l'avantage de réduire à une seule opération le développement de plusieurs clichés. Une fois tirée par contact, l'épreuve est découpée et chaque portrait collé sur un carton fort. Le modèle reçoit finalement quatre à huit cartes de visite pour le prix et l'attente d'un seul portrait au format habituel. En 1863, Disdéri déposera un brevet pour les cartes mosaïques qui regroupent un grand nombre de portraits.

La composition de la carte de visite est rigoureuse. Le plus souvent, le modèle pose à distance, en pied, dans un décor composé d'accessoires divers tels que colonnes, guéridons, balustres, plantes vertes, lourdes tentures de velours, bref toute une vitrine de Grand Bazar. Le modèle, dont le visage est si petit qu'il est quasi inexpressif, adopte diverses attitudes de circonstance. En effet, comme son nom l'indique, le portrait-carte de visite a été inventé pour répondre à un usage social particulier : pouvoir remettre son portrait dans une attitude correspondant précisément aux circonstances du geste. Par exemple, offrir son portrait en tenue de voyage à l'occasion de son départ.

Certes, Disdéri est un commerçant avant d'être un photographe ou un artiste. Bien qu'il ne s'étiquette pas – comme tous ses confrères – « artiste-photographe », il juge nécessaire de cautionner son travail par une réflexion d'ordre esthétique, publiée sous le titre L'Art de la photographie (1862). Il y explique comment il fut amené à inventer la carte de visite en réponse aux exigences de la rentabilité commerciale, créant du même coup une esthétique du portrait radicalement nouvelle, en rupture avec les canons hérités de la peinture.

À défaut de laisser entrevoir la vérité psychologique de son modèle, la carte de visite nous donne une information sociologique des plus intéressantes. Comme l'a fort bien remarqué Gisèle Freund (Photographie et société, 1974), ce n'est plus l'individu qui est représenté, c'est le type social, le représentant d'une classe, d'une profession, d'une fonction. On ne s'étonnera pas, dès lors, du commerce florissant que fut la vente des cartes de visite représentant des têtes couronnées (Disdéri fit le portrait de Napoléon III et de la famille impériale), des acteurs ou des danseuses célèbres, ces derniers photographiés en costume de scène, dans leur rôle du moment. Le public de Disdéri – la petite bourgeoisie – découvre alors les premiers albums de famille et surtout le plaisir d'y introduire,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur de communication à l'Institut supérieur des sciences sociales et pédagogiques de Marcinelle, Belgique, chargé de cours à l'université de Liège

Classification

Pour citer cet article

Marc-Emmanuel MÉLON. DISDÉRI ANDRÉ ADOLPHE EUGÈNE (1819-1889) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Napoléon III en famille - crédits :  Science & Society Picture Library/ Getty Images

Napoléon III en famille

Portrait d'Adolphe Thiers par Disdéri - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Portrait d'Adolphe Thiers par Disdéri

Autres références

  • PHOTOGRAPHIE (art) - L'académisme

    • Écrit par Marc-Emmanuel MÉLON
    • 2 217 mots
    • 3 médias
    La carte de visite, dont Adolphe-Eugène Disdéri (1819-1889) dépose le brevet en 1854, est un genre de portrait qui réalise un subtil compromis entre les lois du marché, les impératifs techniques et la bienséance du goût bourgeois. Elle est produite par un appareil spécial, muni de plusieurs objectifs...
  • PHOTOGRAPHIE (art) - Photographie et peinture

    • Écrit par Jean-Luc DAVAL
    • 5 282 mots
    • 13 médias
    ...les effets de l'art des musées devrait, pensent-ils, favoriser la reconnaissance de la photographie comme moyen d'expression artistique. Certains, comme Disderi, iront jusqu'à développer leurs négatifs sur des supports plus nobles comme la soie ou la toile (il faudra attendre le pop art et l'...
  • PHOTOGRAPHIE (art) - Le statut esthétique

    • Écrit par Gérard LEGRAND
    • 5 146 mots
    • 8 médias
    Pleins de bonne volonté, certains critiques dépassaient le faux problème posé par l'exactitude des « dessins », comme Disderi (1819-1891) croit encore nécessaire d'appeler ses épreuves et même ses « cartes de visite photographiques » au format breveté, qui abaissent énormément le prix de revient...

Voir aussi