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BADIOU ALAIN (1937- )

Vérité, événement, sujet

Les catégories de vérité, d'événement, de décision, de sujet relèvent d'une enquête menée sur les bords de l'ontologie. Ici intervient le « théorème du point d'excès », adossé au théorème de Cantor. Les parties d'un ensemble (réglées par la relation d'inclusion) sont toujours en excès sur les éléments de cet ensemble (réglés par la relation d'appartenance) : « Aucun multiple n'est en état de faire un de tout ce qu'il inclut. » Mais les mathématiques du continu nous montrent en outre que dans le cas des multiplicités infinies cet excès est inassignable, proprement « errant ». Il est en effet impossible d'en donner une mesure en exprimant le rapport quantitatif entre le nombre des éléments et le nombre des parties, comme dans le cas d'un ensemble de cardinal fini. Toute situation (pour autant qu'on la ressaisisse comme multiple infini), toute procédure de mise en ordre de l'état d'une situation (ce qu'est justement l'État dans le domaine politique) peut dès lors se trouver débordée de l'intérieur par un point d'excès lui-même sans mesure, donc indiscernable, bien qu'il soit possible, non seulement de produire un concept de cet indiscernable, mais encore de prendre une décision quant à son existence (procédure de « forçage »). Ainsi, « l'action reçoit de l'ontologie l'avertissement que c'est en vain qu'elle s'efforcerait de calculer au plus juste l'état de la situation où elle dispose ses ressorts », et la position du sujet actif ne peut dès lors se soutenir que d'une décision sans garanties. De ce dispositif qui sous-tend la catégorie de vérité, les mathématiques fournissent les conditions formelles ou le cadre conceptuel. Mais il opère déjà dans les domaines de la politique, de la science, de l'art et de l'amour, où chacun peut ressaisir des processus de subjectivation singuliers et néanmoins universels.

Dans tous les cas, le sujet ne préexiste pas au processus de vérité dont il se fait le support. Il est contemporain d'une vérité en droit universellement disponible, à laquelle il se rend fidèle. Ce thème de la « consistance éthique » du sujet de vérité est développé dans l'essai sur saint Paul (Saint Paul. La fondation de l'universalisme, 1997). On le retrouve également au détour de certains textes consacrés à l'art (Petit Manuel d'inesthétique, 1998 ; Le Siècle, 2005). L'« inesthétique » défendue par Badiou remet en cause le rapport traditionnel de la philosophie et de l'art défini par l'esthétique d'orientation critique ou spéculative : loin de faire de l'art l'objet d'un discours de vérité, elle « décrit les effets strictement intraphilosophiques produits par l'existence indépendante de quelques œuvres d'art ». Car l'art est déjà par lui-même une procédure de vérité : il appartient à la philosophie d'en prendre acte, en s'efforçant d'identifier les arts à partir des opérations immanentes de production du vrai qu'autorisent leurs dispositifs. Chez Mallarmé, par exemple, la procédure soustractive du Coup de dé effectue une double dissolution, celle de l'objet ou de la présence sensible du référent et celle du sujet (la « disparition élocutoire » du poète), pour inscrire la trace d'un événement purement idéel. Le poème fournit ainsi le paradigme de toute opération soustractive dans les arts, qu'il s'agisse de l'espacement et de l'effacement (avec la danse), de la simplification (avec le théâtre) ou de la capture du pur passage de l'Idée (avec le cinéma).

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, professeur dans le secondaire et à l'École nationale des beaux-arts de Lyon, membre du Centre international d'étude de la philosophie française contemporaine, École nationale supérieure, Paris

Classification

Pour citer cet article

Elie DURING. BADIOU ALAIN (1937- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉVÉNEMENT, philosophie

    • Écrit par Jean GREISCH
    • 1 931 mots
    ...dépasser, à leur tour, l'horizon d'une « métaphysique de la présence », ce qui les oblige à thématiser à neuf la question de l'événement. C'est ainsi qu'Alain Badiou (L'Être et l'événement, 1988) explore la possibilité d'une pensée de l'événement sur la base des mathématiques ensemblistes (Cantor,...

Voir aussi