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APPELFELD AHARON (1932-2018)

Le retour à la maison

L'art de conter de l'écrivain est tout entier empreint de cette sculpture si particulière de la langue qui prend racine sur des bribes de mémoire involontaire, points de départ à de multiples reconstructions. Appelfeld reconnaît lui-même que le peu de souvenirs qu'il ait de son enfance lui permet cependant de tisser les liens qui le ramènent à ses parents, ses grands-parents, et à tout ce monde disparu auquel, grâce à la littérature, il peut de nouveau avoir accès. Comme on le voit dans Le garçon qui voulait dormir (2010), ces années d'écriture s'apparentent à une quête continuelle de la maison familiale, symbole du monde juif d'Europe centrale que l'écrivain s'attache à faire revivre. Les racines de sa mémoire sont essentiellement dynamiques : selon Appelfeld, une œuvre en ébauche ne peut s'inspirer d'une mémoire « achevée ». En revanche, elle prend sa source à partir d'une mémoire « vive », en renouvellement permanent, dont l'écrivain invente les détails au fur et à mesure qu'il les écrit.

L'œuvre de Kafka est à l'origine de ce « retour à la maison ». En le lisant, Appelfeld découvre que l'allemand de Kafka fait partie de son être le plus intime, et qu'il s'agit bien de la langue « juive-allemande » familière de son enfance. De plus, Kafka incarne une sorte de maître en ce qui concerne le judaïsme populaire, le yiddish, et l'hébreu. Enfin, Appelfeld est totalement à l'unisson du langage intérieur de l'écrivain pragois et de l'importance qu'il accorde aux événements infimes du quotidien.

Ce lien entre le langage intérieur et la structure minimaliste de ses œuvres rattache Appelfeld à des écrivains hébraïques tels que Yosseph Hayim Brenner (1881-1921), Uri Nissan Gnessin (1879-1913), David Vogel (1891-1944) et Samuel Joseph Agnon (1888-1970). La poétique impressionniste et la primauté du « je » de Gnessin et Vogel ont influencé Appelfeld. La nostalgie de la religiosité chez Agnon correspond au désir d'Appelfeld d'exprimer sa propre compréhension du religieux.

Des auteurs aussi divers que Primo Levi, Irving Howe, Alfred Kazin, Robert Alter ou Philip Roth ont dégagé l'œuvre d'Appelfeld des limites de la Shoah et ont montré son lien avec la modernité. Écrivain israélien, il parvient à écrire dans un langage universel traversé par le doute, l'hésitation et le silence. Poussé par un désir incoercible d'écrire, il retrace en plus de quarante livres son monde intérieur.

Aharon Appelfeld meurt à Petah Tikva (Israël), le 4 janvier 2018.

— Michèle TAUBER

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Écrit par

  • : professeure des Universités en littérature hébraïque moderne et contemporaine

Classification

Pour citer cet article

Michèle TAUBER. APPELFELD AHARON (1932-2018) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Aharon Appelfeld - crédits : Will Yurman/ Hulton Archive/ Getty Images

Aharon Appelfeld

Autres références

  • LA STUPEUR (A. Appelfeld) - Fiche de lecture

    • Écrit par Norbert CZARNY
    • 1 018 mots
    • 1 média

    Paru en 2017, La Stupeur (traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti, L’Olivier, 2022) est l’avant-dernier roman écrit par Aharon Appelfeld (1932-2018).

    Sa trame est des plus linéaires, comme peut l’être celle d’un conte, dont il a certains traits. Le chemin, la forêt, les prairies, le bord de...

  • SHOAH LITTÉRATURE DE LA

    • Écrit par Rachel ERTEL
    • 12 469 mots
    • 15 médias
    C'est la voix isolée et unique d'Aharon Appelfeld, hors de toute référence à la tradition religieuse juive ou à la tradition scripturaire hébraïque, qui inscrit l'anéantissement dans l'imaginaire littéraire en hébreu. Enfant rescapé, de langue maternelle allemande oubliée dans le sabir des...
  • ISRAËL

    • Écrit par Marcel BAZIN, Universalis, Claude KLEIN, François LAFON, Lily PERLEMUTER, Ariel SCHWEITZER
    • 26 771 mots
    • 38 médias
    ...israéliens. Nombre de ces derniers, devant un drame aussi terrible, n'ont pu réagir que par le silence. Pourtant, les survivants commencent à écrire. Ainsi, Aharon Appelfeld (1932-2018) n'évoque pas, au moins au début, directement la Shoah, mais le temps d'avant et d'après la tragédie. Ses...

Voir aussi