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THÉÂTRE OCCIDENTAL Théâtre et politique culturelle

De la réforme à l'innovation

Il est difficile de savoir si les responsables des affaires culturelles, au lendemain de Mai-68, ont évalué à sa juste mesure le tournant pris par leurs partenaires : le fait est qu'ils ont maintenu d'abord les grandes lignes de la politique définie par André Malraux en la corrigeant par un réformisme réaliste et prudent, puis en l'infléchissant par des innovations plus délibérées et plus nettement soumises à l'air du temps.

De 1971 à 1973, Jacques Duhamel (1924-1977) a donc poursuivi la consolidation et l'extension du service public, en augmentant le nombre des centres dramatiques nationaux, désormais dotés d'un cahier des charges et d'un contrat, en multipliant les centres d'action culturelle, beaucoup plus légers que les maisons de la culture, et en transférant le T.N.P. à Villeurbanne, tandis que Chaillot recevait un statut plus expérimental avec la nomination à sa tête de Jack Lang, qui avait si bien réussi à la tête du Festival du jeune théâtre de Nancy. Par ailleurs, le statut d'établissement public était attribué aux théâtres nationaux nouvellement créés (T.E.P. et T.N.S.), et le ministère inaugurait sa propre déconcentration en installant ses premières directions régionales en province. Pour financer des initiatives originales, en marge des institutions, un fonds d'innovation culturelle (F.I.C.) était créé. Et, conformément à une demande émise à Villeurbanne, enfin, plusieurs centres dramatiques nationaux pour l'enfance et la jeunesse étaient institués. Comme on s'en aperçoit, la voie choisie par Jacques Duhamel a été celle du dialogue et de la confiance accordée au théâtre public, avec des innovations soigneusement dosées : il ne s'agit pas vraiment d'une autre politique, mais d'une rationalisation et d'un développement de ce qui existait, sans s'attarder sur la crise latente qui s'était révélée au début des années 1970.

Créateur en 1972 du festival d'Automne, nommé en 1974 secrétaire d'État à la Culture, où il restera jusqu'en 1976, Michel Guy (1927-1990), lui, va prendre trois initiatives spectaculaires. Il remplace les titulaires de plusieurs centres dramatiques, par des représentants de la nouvelle génération, et en affirmant haut et fort la prééminence qu'il accorde au talent : c'était là s'aligner sur les transformations en cours dans la profession, qui privilégiait désormais le rôle du metteur en scène, promu artiste à part entière et souvent exonéré de toute responsabilité civique. La fondation de l'O.N.D.A. (Office national de diffusion artistique) va dans le même sens, puisqu'elle est destinée, dans l'esprit du ministre, à diffuser sur le territoire les plus brillantes créations nationales et internationales. En second lieu, Michel Guy décide la réforme radicale du Conservatoire national d'art dramatique. Ce qui le conduira à affronter les oppositions les plus redoutables. Enfin, il inaugure une vaste concertation avec villes et régions pour un meilleur aménagement du territoire en matière d'équipements et d'institutions artistiques. Cette nouvelle variante de la politique culturelle rompt avec les utopies et, sans méconnaître les tâches réglementaires et pratiques de l'administration, définit l'intervention de l'État comme un mécénat public, conduit par des esprits éclairés, en renonçant à toute visée « missionnaire » : tout à fait conforme à l'esprit du temps, cette orientation a sans doute accentué les clivages entre artistes et animateurs socioculturels en favorisant largement la victoire des premiers, et elle a supprimé plusieurs digues destinées à réguler le comportement des artistes à la tête des institutions : que Michel Guy l'ait voulu ou non, il a porté une sérieuse atteinte à l'esprit du service public tel qu'il avait été défini jusqu'ici, en faisant de l'éclat de la création une donnée essentielle[...]

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Écrit par

  • : agrégé des lettres classiques et docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Robert ABIRACHED. THÉÂTRE OCCIDENTAL - Théâtre et politique culturelle [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

André Malraux - crédits : Bettmann/ Getty Images

André Malraux

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