Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

THÉÂTRE OCCIDENTAL Théâtre et politique culturelle

La crise

À cet ensemble de doutes, de velléités et d'hésitations, les événements de Mai-68 donnent l'occasion de se cristalliser fortement. Tandis que la fonction symbolique du théâtre dans la nation est bafouée, dans un maelström de paroles et de gestes, à l'occasion de l'occupation de l'Odéon et de sa transformation en forum, c'est toute l'action entreprise depuis 1947 qui va être vilipendée par d'habiles et bruyants contestataires au festival d'Avignon, aux cris de « Vilar, Béjart, Salazar ». Entre-temps, les directeurs des centres dramatiques nationaux et des maisons de la culture, réunis à Villeurbanne, avaient battu leur coulpe sur la poitrine du ministère, élevé les plus vives réserves quant à la nécessité de transmettre les œuvres de l'héritage culturel, contesté le fonctionnement et les statuts des maisons de la culture, tout en proclamant haut et fort la nécessaire corrélation entre création dramatique et action culturelle. Après avoir déploré l'existence d'une catégorie sociale d'exclus (baptisée non-public) et affirmé la nécessité de s'y intéresser pour lui permettre de se politiser, ils dénonçaient la disparité des subventions existant entre Paris et la province, non sans soutenir qu'il n'y avait pas de politique culturelle possible si les crédits de la culture n'étaient pas portés de 0,43 à 3 p. 100 du budget national.

Voilà qui donnait la mesure des frustrations accumulées depuis quelques années et esquissait, au milieu de revendications raisonnables et qui seraient au demeurant bientôt satisfaites, une nouvelle rêverie, qui supposait pour pouvoir prendre corps un changement radical de société. Il vaut la peine de noter cependant que les directeurs réunis à Villeurbanne n'ont jamais rompu les relations avec le ministère tout au long des événements de Mai-68 et qu'aucun d'eux ne renonça à faire carrière sous l'égide des Affaires culturelles.

Mieux : quelques mois après ces déclarations, un jeune metteur en scène comme Patrice Chéreau proclamait, la mort dans l'âme, l'impuissance politique et civique du théâtre, ce qui revenait à dire que le non-public n'était pas de son ressort, pas plus que la pédagogie et l'action culturelle ne pouvaient lui servir de méthode. De proche en proche, on allait voir ainsi sapés les principaux fondements du théâtre populaire et de la décentralisation au profit de revendications avancées cette fois au nom des exigences de l'art. Tout le monde n'avait certes pas renoncé à rénover les idéaux et les pratiques du théâtre public, tout en leur apportant les corrections rendues nécessaires par les changements artistiques sociaux et politiques, mais les institutions allaient progressivement se refermer sur elles-mêmes, au cours d'une crise qui se prolongerait toute une décennie durant.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé des lettres classiques et docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Robert ABIRACHED. THÉÂTRE OCCIDENTAL - Théâtre et politique culturelle [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

André Malraux - crédits : Bettmann/ Getty Images

André Malraux

Autres références

  • LA PARABOLE OU L'ENFANCE DU THÉÂTRE (J.-P. Sarrazac)

    • Écrit par Hélène KUNTZ
    • 1 002 mots

    La Parabole, ou l'Enfance du théâtre (éd. Circé, Belval, 2002) convie le lecteur à une réflexion ambitieuse sur le théâtre du xxe siècle, et en particulier sur l'œuvre de ces grands parabolistes que sont Claudel et Brecht, mais aussi Kafka, dont Jean-Pierre Sarrazac analyse le théâtre «...

  • ACTEUR

    • Écrit par Dominique PAQUET
    • 6 815 mots
    • 2 médias

    Si l' acteur force si souvent le respect ou l'exécration, cela signifie bien qu'il travaille avec les outils les plus précieux de l'humanité en l'homme : le corps et la psyché. Qu'il engendre, par un jeu de métamorphoses, à la fois la familiarité et l'étrangeté, qu'il réfracte l'envers et l'avers de...

  • ALLEMAND THÉÂTRE

    • Écrit par Philippe IVERNEL
    • 8 394 mots
    • 2 médias

    Alors que l'Allemagne a refait son unité par intégration de l'ex-RDA à la RFA, il y a lieu de revoir l'évolution séparée des théâtres ouest-allemand et est-allemand depuis 1945, afin de mieux apprécier leur divergence passée ainsi que leur conjonction présente. Quel fonds commun « germano-allemand...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    Le goût populaire avait conservé au théâtre anglais l'aspect moyenâgeux de successions de tableaux, comme dans les mystery plays, de sorte que les unités de temps, de lieu et d'action ne purent pas s'acclimater en Angleterre. Pour différents que soient les auteurs dramatiques qui élevèrent...
  • ANTIGONE, Jean Anouilh - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 534 mots
    • 1 média

    Antigone est une pièce en un acte de Jean Anouilh (1910-1987), directement inspirée des deux tragédies de Sophocle consacrées à la fille d'Œdipe :  Œdipe à Colone (402-401 av. J.-C.) et surtout Antigone (442 av. J.-C.). À sa création, le 4 février 1944 au théâtre de l'Atelier à...

  • Afficher les 68 références

Voir aussi