Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MOYEN ÂGE La littérature en prose

La formation de la prose littéraire constitue un processus fondamental dans l’histoire des civilisations anciennes et modernes. Ce processus s’inscrit sans aucun doute dans un plus vaste réseau : les emplois multiples du discours en prose, des épigraphes aux journaux intimes, se développent dans des rapports étroits, tant pour la forme que pour le contenu, avec d’autres manifestations de la culture textuelle telles que le discours en vers et la liste.

C’est toutefois surtout dans le champ de la prose que les langues européennes approfondissent et organisent leurs aptitudes à traiter une grande variété de sujets et de difficultés conceptuelles : l’homme et Dieu, la nature du temps, la description du monde et des peuples, l’imagination de l’au-delà. En outre, la prose permet de répondre à un nombre d’exigences fondamentales d’ordre pratique : législation, administration, gouvernement, organisation d’activités. Une sphère qui pourrait sembler a priori étrangère aux préoccupations d’ordre littéraire, mais qui finit souvent par être en rapport avec les emplois non pratiques de la langue. La prose, enfin, représente un outil fondamental pour la compréhension et la transmission du patrimoine littéraire et plus généralement textuel : les gloses, les commentaires, les instructions pour les copistes et les illustrateurs sont habituellement écrits en prose.

Bien que la prose littéraire en ancien français apparaisse avant celle des autres langues romanes, une approche comparative demeure nécessaire pour en comprendre la portée historique et en préciser la continuité et les ruptures avec la tradition latine classique et médiévale.

Le mot et son histoire

Le substantif français « prose » dérive de l’adjectif latin prorsus, proversus,dont le sens principal indique un mouvement vers l’avant ou une position avancée. Le mot est employé comme synonyme ou pour gloser l’expression oratiosoluta, qui désigne un discours dépourvu de structure métrique. Les définitions médiévales remontent dans la plupart des cas à celle d’Isidore de Séville (Etym., I, xxxviii,1-2) : elles caractérisent un « discours continu » (productaoratio), « fluide et sans contraintes métriques » (lege metrisoluta). Isidore cite le fait que certains érudits associent l’étymon de prosaà profusus, qui rend l’idée d’une étendue discursive sans bornes préétablies. Il ajoute que la prose est née après le vers et que son origine est liée à celle de l’éloquence et du discours politique. En latin classique et médiéval, prosa est aussi synonyme de pedestrisoratio : discours non poli, modeste, de style humble ou bas, selon une métaphore héritée du grec.

Il est en revanche difficile de préciser le rapport entre les termes prosa et versus, même si la base étymologique est la même : versus indiquerait l’acte d’aller à la ligne (le mouvement de retour de la plume), opposé à une lineade prose, qui remplit l’unité de réglure (dans la préparation de la page manuscrite, espace tracé destiné en principe à être occupé par une ligne de texte) jusqu’à ses limites externes. On constate souvent, en outre, une certaine oscillation de la terminologie dans l’emploi de versus et de prosaen relation avec l’opposition de metrum (dans la métrique quantitative, qui distingue les syllabes selon leur quantité longue ou brève) et de rhythmus (dans la métrique accentuelle, qui distingue syllabes accentuées et atones). Prosapeut, en particulier, désigner le texte d’une séquence, une forme musicale paraliturgique qui s’affirme en contexte bénédictin entre le ixeet le xe siècle. Même si la terminologie moderne distingue « prose » (texte) et « séquence » (musique), dans la tradition latine, les deux mots sont interchangeables et peuvent indiquer à la fois les mots ou le chant, ou encore la musique d’une composition en vers de thème liturgique ou hagiographique.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur, chargé de cours de littérature française du Moyen-Âge, université de Liège (Belgique)

Classification

Pour citer cet article

Nicola MORATO. MOYEN ÂGE - La littérature en prose [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Lancelot-Graal</em> - crédits : BnF, cote cliché RC-B-09666

Lancelot-Graal

<em>Chroniques</em>, J. Froissart - crédits : British Library/ AKG-images

Chroniques, J. Froissart

<em>Livre des merveilles du monde</em>, M. Polo - crédits : BnF/ AKG-images

Livre des merveilles du monde, M. Polo

Autres références

  • AGRICOLE RÉVOLUTION

    • Écrit par Abel POITRINEAU, Gabriel WACKERMANN
    • 8 076 mots
    ...siècle, l'agriculture traditionnelle est avant tout une agriculture de subsistance associée à une économie domestique fermée, dite économie de besoin. En Europe occidentale, le domaine héritier direct de la villa carolingienne, composée d'une réserve et de tenures (ou manses), reste l'unité de production...
  • AGRICULTURE - Histoire des agricultures jusqu'au XIXe siècle

    • Écrit par Marcel MAZOYER, Laurence ROUDART
    • 6 086 mots
    • 2 médias
    Pour tenter de surmonter ces difficultés,à partir de l'an 1000, dans la moitié nord tempérée froide de l'Europe, l'usage de toute une gamme d'outils se répandit, en relation avec l'essor de la sidérurgie. Fourneaux à fonte et forges hydrauliques ont permis de produire...
  • ALBIGEOIS (CROISADE CONTRE LES)

    • Écrit par Jacques LE GOFF
    • 4 152 mots
    • 2 médias

    Le terme « albigeois » a servi, dès le milieu du xiie siècle, à désigner les hérétiques du Languedoc, bien que l'Albigeois ne paraisse pas, aux yeux des historiens modernes (qui ont continué à user de cette appellation devenue traditionnelle), avoir été le principal foyer de l' ...

  • ALLEMAGNE (Histoire) - Allemagne médiévale

    • Écrit par Pierre-Roger GAUSSIN
    • 14 136 mots
    • 7 médias

    Plus de six siècles séparent la Germanie héritée des Carolingiens de cette « fédération de princes » qu'est l'Allemagne de la Réforme. L'histoire de cette longue période offre le contraste entre une politique vainement hantée par l'idée d'empire et la lente formation de la société...

  • Afficher les 157 références

Voir aussi