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PINTER HAROLD (1930-2008)

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Une dramaturgie de l'Innommable

Née du prodigieux renouveau de l'écriture dramatique au milieu des années 1950 qui a, pour la première fois, ouvert les théâtres prestigieux du West End à de jeunes auteurs, souvent d'origine populaire, l'œuvre de Pinter se situe au carrefour de deux genres : le théâtre dit de l' Absurde et un genre spécifiquement britannique, le néo-naturalisme de l'école de la Cuisine – d'après La Cuisine d' Arnold Wesker. Pour des auteurs comme Wesker, la peinture réaliste d'un cadre de vie et d'un langage est le véhicule d'une réflexion sociale ou politique : le langage est conçu comme le reflet direct du cadre qui le produit. C'est tout le contraire de ce qui se passe chez Pinter, dont l'œuvre comme la personnalité se placent sous le signe d'un scepticisme extrême qui se rattache à la grande tradition de la philosophie anglaise. Pinter, en effet, nie la possibilité de toute déclaration catégorique, de toute prise de position, de tout engagement. Tout postulat de causalité est pure illusion : « Tout ce que nous savons de façon certaine, c'est que les événements qui se sont produits se sont produits dans un certain ordre ; toute relation que nous pensons percevoir entre eux [...] est pure devinette. »

C'est dans cette coupure radicale entre le dire et l'être que réside la spécificité de ce que l'on dénomme le «  dialogue pintérien » : expression qui est entrée dans la langue anglaise pour désigner tout échange de propos apparemment anodins, voire vides de sens, mais où couvent tantôt de sourdes tensions, sinon de véritables luttes à mort, tantôt des désirs larvés. Ce double registre, cet écart maximal entre le dit et le non-dit, voilà ce qui constitue « un territoire qu'il vaut la peine d'explorer et même qu'il faut explorer ». C'est ce no man's land – le domaine du tabou – qui se trouve au centre des recherches de cet auteur. C'est ce qui explique la boutade lancée par lui pour définir la problématique de ses pièces : « Dans mes œuvres, l'essentiel, c'est la belette sous la cave à liqueurs » : or, la belette, c'est le symbole de l'agressivité et de la cruauté qui se cachent au cœur de notre société policée, mais c'est aussi, dans la plupart des mythologies européennes, l'animal innommable par excellence.

— Ann LECERCLE

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Écrit par

  • : maître assistant d'anglais, agrégée, docteur d'État, professeur à l'université de Paris-Nord

Classification

Pour citer cet article

Ann LECERCLE. PINTER HAROLD (1930-2008) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 25/03/2009

Médias

Harold Pinter - crédits : Express Newspapers/ Hulton Archive/ Getty Images

Harold Pinter

<em>C'était hier</em> de H. Pinter, mise en scène de Jorge Lavelli - crédits : Jacques Haillot/ Sygma/ Getty Images

C'était hier de H. Pinter, mise en scène de Jorge Lavelli

Autres références

  • LE RETOUR (mise en scène L. Bondy)

    • Écrit par
    • 924 mots
    • 1 média

    Un auteur qui « ramène le théâtre à sa base élémentaire, la pièce close et le dialogue imprévisible, où les êtres sont livrés les uns aux autres, et où le déguisement se brise. Avec un minimum d’intrigue, le drame surgit de la lutte et du cache-cache dans la confrontation verbale…». ...

  • ALBEE EDWARD (1928-2016)

    • Écrit par
    • 2 699 mots
    • 2 médias
    Si l'ensemble de l'œuvre d'Albee peut, elle aussi, pour sa part, être envisagée rétrospectivement comme une stratégie globale, le parallèle avec Pinter s'impose à nouveau. Ce sont d'abord des pièces brèves, assez linéaires, des exercices de style d'un auteur qui délimite son territoire et explore...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par , , , , , et
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...antiréaliste, proche du théâtre épique de Brecht avec essentiellement Arden, le théâtre dit de l' absurde, dont relèvent non seulement Beckett et Pinter, mais également le nonsense d'un N. F. Simpson et, enfin, l'humour noir et la comédie grinçante par lesquels Joe Orton renouvelle la tradition...
  • THE SERVANT, film de Joseph Losey

    • Écrit par
    • 906 mots

    Joseph Losey (1909-1984) commença sa carrière dans le théâtre américain « progressiste » des années 1930, et apprit le cinéma par le biais des films éducatifs. Son premier court-métrage de fiction, A Gun in His Hand (1945), décrocha une nomination aux Oscars, mais Hollywood se méfiait....