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CHATEAUBRIAND FRANÇOIS RENÉ DE (1768-1848)

Entre l'avenir et le passé

Lorsqu'on étudie la pensée de Chateaubriand, on s'avise qu'aussi bien en religion qu'en politique cet homme a vécu partagé. Voyons ses idées religieuses. Il est certain qu'elles ont évolué ; dans la « Digression philosophique » finalement retranchée du livre XI des Mémoires, Chateaubriand se revoit à l'époque de l'Essai sur les révolutions : « Si mon imagination était naturellement religieuse, mon esprit était sceptique. » Pourtant, dans l'Essai lui-même, le jeune exilé s'interrogeait déjà sur ce « désir inconnu », « cette soif de quelque chose » : « Est-ce un instinct indéterminé, un vide intérieur que nous ne saurions remplir, qui nous tourmente ? » De cette perplexité à la réponse du Génie, cinq ans plus tard, il n'y a pas vraiment conversion, quoi qu'il en ait dit : Chateaubriand est un esprit de tournure intellectuelle religieuse, ce qui n'implique guère chez lui foi vibrante ou effusions mystiques, mais plutôt un regard sur l'humanité à partir d'une analyse de soi. « L'homme n'a pas besoin de voyager pour s'agrandir ; il porte avec lui l'immensité. [...] qui n'a point en soi cette mélodie, la demandera en vain à l'univers » (Mémoires d'outre-tombe, XLIV, v). C'est pourtant sous la plume de ce Chateaubriand « éclairé » que nous lisons sur les croisades (Itinéraire, IV), sur la révocation de l'édit de Nantes (Vie de Rancé), sur la prise d'Alger vue comme écrasement de l'islam (Mémoires, XXXII, vi), des éloges immodérés qui nous déçoivent. Notons aussi que d'esthétique et souvent passéiste au temps du Génie, le christianisme de Chateaubriand devient davantage politique et social dans sa vieillesse, notamment au contact de Lamennais, dont il soutint le journal L'Avenir (1830-1831) ; et, même s'il désapprouve ensuite la désobéissance qui condamne l'auteur de Paroles d'un croyant à la marginalité, il va lui rendre visite en prison (1841) et reste avec lui convaincu que la phase adulte du christianisme, la démocratie, est à venir. Il aurait voulu écrire, dans ses vieux jours, un second Génie du christianisme exprimant mieux que le premier la force progressive du catholicisme.

Des variations analogues sont perceptibles dans les comportements et les opinions politiques de Chateaubriand : lui-même en atténue certaines, par exemple en ne mettant en avant que le despotisme et les erreurs de Napoléon, y compris dans le résumé superbe qu'il sut faire de son règne (Mémoires d'outre-tombe, livres XIX à XXIV). « Pour se dégoûter des conquérants, il faudrait savoir tous les maux qu'ils causent » (XXIX, xiv), et quand on le sait on ne peut voir Austerlitz que comme « une immense tombe » (XVII, v) et son héros que comme « le ravageur » (XXI, viii)... surtout si l'on estime qu'il a mal reconnu vos mérites.

S'agissant des Bourbons, la position de Chateaubriand se comprend si l'on se rappelle quel choc constant faisait se heurter en lui un traditionalisme atavique, une intelligence aiguë du sens de l'histoire et l'opportunisme de l'ambitieux. « Mon indépendance, affirme-t-il, a presque toujours blessé les hommes avec qui je marchais » (Mémoires d'outre-tombe, XI, ii). Il est vrai que Chateaubriand a toujours tenu à apparaître comme celui qui préférait la liberté digne à la servilité, à la fois par orgueil et par conviction intellectuelle. Ainsi défend-il vigoureusement la liberté de la presse pour laquelle il a combattu à ses propres dépens, car, de toutes façons, elle vaincra : « Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle, comme vous vivez avec la machine à vapeur » (XXXII, viii). Vapeur et télégraphe transportant les idées, aucune stratification sociale inégalitaire[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur d'État ès lettres, assistant à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Patrick BERTHIER. CHATEAUBRIAND FRANÇOIS RENÉ DE (1768-1848) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Chateaubriand</it>, David d'Angers - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

Chateaubriand, David d'Angers

Autres références

  • CHATEAUBRIAND. POÉSIE ET TERREUR (M. Fumaroli)

    • Écrit par Pierre-Louis REY
    • 1 111 mots

    Goethe avait intitulé Poésie et vérité son autobiographie, où se formule un certain idéal du moi. Symétriquement, la méditation sur les fractures du temps et sur les interférences entre histoire personnelle et histoire politique conduit Marc Fumaroli à baptiser son essai Chateaubriand. Poésie...

  • ESSAI SUR LES RÉVOLUTIONS, François René de Chateaubriand - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean Marie GOULEMOT
    • 965 mots
    • 1 média

    En 1794, F. R. de Chateaubriand (1768-1848) commence à rédiger l'Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française. Quand il le publie, en 1797, à Londres, la Révolution est achevée. À l'en croire,...

  • ITINÉRAIRE DE PARIS À JÉRUSALEM, François René de Chateaubriand - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 778 mots

    Publié en février 1811, quelques jours après la réception de François René de Chateaubriand (1768-1848) à l'Académie française, Itinéraire de Paris à Jérusalem est le récit du voyage effectué par l'auteur en Grèce, en Asie Mineure et en Palestine, avant son retour par l'Égypte,...

  • MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBE, François René de Chateaubriand - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre-Louis REY
    • 1 111 mots
    • 1 média

    Les Mémoires d'outre-tombe sont, comme le signale leur titre et selon la volonté de Chateaubriand (1768-1848), une œuvre posthume, publiée d'abord en feuilleton dans La Presse, à partir du 21 octobre 1848, puis en douze volumes, de 1849 à 1850. Ils sont issus des « Mémoires de ma vie...

  • RENÉ, François René de Chateaubriand - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre-Louis REY
    • 1 050 mots

    René (sous le titre René et Céluta) et Atala furent conçus au départ comme des épisodes des Natchez, roman dont Chateaubriand (1768-1848) puisa l'inspiration dans son voyage en Amérique du Nord (juillet-décembre 1791), mais qu'il ne publia qu'en 1826. Il l'a en effet provisoirement délaissé au...

  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par Daniel OSTER
    • 7 517 mots
    • 5 médias
    Chez Chateaubriand aussi la fiction de la tombe (« J'ai toujours supposé que j'écrivais assis dans mon cercueil », Préface testamentaire, 1833) assure dans l'imaginaire le seul point d'ancrage pour une écriture sans cesse tracassée par l'histoire. Work in progress, les...
  • BERLIOZ HECTOR (1803-1869)

    • Écrit par Cécile REYNAUD
    • 4 247 mots
    • 3 médias
    ...Épisode de la vie d’un artiste, l’œuvre se situe aussi dans le genre autobiographique pour lequel le compositeur choisit de faire référence à Chateaubriand : le jeune musicien, double du compositeur, dont le programme décrit les souffrances et les délires amoureux, est habité comme le personnage...
  • RÉCIT DE VOYAGE

    • Écrit par Jean ROUDAUT
    • 7 128 mots
    • 1 média
    ...xviiie puise, dans les récits de voyage, anecdotes et arguments. C'est un pèlerinage qu'entreprennent, à la façon des hommes du Moyen Âge, Chateaubriand et Lamartine : leurs descriptions de paysages sont explications de textes bibliques. « Je connais maintenant le secret des douleurs de Jérémie,...
  • EXOTISME

    • Écrit par Mario PRAZ
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    • 4 médias
    ...trouve pleinement satisfait, mais plutôt celui qui idolâtre l'image fantastique d'une terre lointaine. Un passage des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand peut être à cet égard considéré comme exemplaire : « Il serait trop long de raconter quels voyages je faisais avec ma fleur d'amour ; comment,...
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