Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ÉVÉNEMENT, histoire

Résurrection ?

Cependant, les héritiers de l'histoire des Annales vont redécouvrir l'événement objet d'histoire à partir de leur intérêt pour les structures de la société. Par sa capacité à refléter la totalité d'un système social, l'événement devient un symptôme révélateur ; sous son apparence exceptionnelle, l'historien va chercher la structure du corps social ou « l'ordinaire de la vie ». Ainsi l'événement Bouvines cesse d'être un moment décisif dans la formation de l'unité nationale pour devenir un observatoire du passé pour l'historien, anthropologue ou sociologue (Georges Duby, Le Dimanche de Bouvines, 1973). En ce cas peuvent « faire événement » toutes les circonstances qui dévoilent les structures cachées du quotidien ; l'exceptionnel devient la clé du normal, de l'événement historique consacré dans la mémoire (avec le livre précurseur de Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789, 1932) à celui qu'identifie la chronique locale (Emmanuel Le Roy Ladurie, Le Carnaval de Romans, 1979), jusqu'au fait divers hissé au rang de symptôme (Alain Corbin, Le Village des cannibales, 1990 ; ou Natalie Zemon Davis et al., Le Retour de Martin Guerre, 1982).

Avec le « retour de l'événement », Pierre Nora (in Jacques Le Goff et Pierre Nora, Faire de l'histoire I. Nouveaux problèmes, 1974) annonce le déplacement du débat. La « démocratisation » de l'histoire, par le biais des médias, fait renaître l'événement, un événement refondé par la publicité, « loi d'airain de l'événement moderne » (P. Nora). Ainsi s'ouvrirait un champ spécifique à l'histoire contemporaine qui, en dépassant l'événement reflet, s'attacherait à la production de l'événement, véritable clé des sociétés contemporaines. L'événement change donc de nature avec ce tournant historiographique, qui ne pense plus l'événement en lui-même mais s'interroge sur la construction de son récit (F. Dosse, L'Histoire, 2000).

Mais le dévoilement de la nature et des formes de l'événement s'organise sur un autre plan lorsque Paul Ricœur (La Mémoire, l'histoire et l'oubli, 2000) envisage l'événement « supra-significatif », Auschwitz. Dans cette perspective, l'événement « aux limites » disqualifie une conception de l'histoire qui ne serait qu'un jeu formel sans réalité extérieure au langage. Cet événement hors du commun, identifié par son caractère sans précédent et son rôle fondateur, repose la question de l'unicité de l'événement incomparable par nature (F. Simiand, P. Lacombe) ; tout comme Tzvetan Todorov (Les Abus de la mémoire, 1995), P. Ricœur démontre qu'établir l'unicité absolue de l'événement suppose l'établissement de la différence grâce au recours, paradoxal mais nécessaire, à la comparaison.

La tension avec une histoire des structures et des conjonctures est dépassée par Reinhart Koselleck : le récit fait office d'échangeur entre structure et événement. La structure, phénomène de longue durée, devient la condition de possibilité de l'événement et certains événements servent d'indices pour des phénomènes de longues durées.

Ce retour contemporain, avec l'accent mis sur la production des traces de l'événement, restitue aussi une place aux acteurs, souvent dépossédés de toute intervention dans les lectures structurales de l'histoire. La résurrection de l'événement coïncide ainsi avec le retour au premier plan d'une histoire politique (René Rémond, dir., Pour une histoire politique, 1988). Toutefois, quand l'histoire politique des méthodiques enfermait l'homme dans le jeu déterminé des conséquences de l'événement, vers une fin nécessaire, cette exploration renouvelée[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II

Classification

Pour citer cet article

Olivier LÉVY-DUMOULIN. ÉVÉNEMENT, histoire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • GÉNÉRATION

    • Écrit par Claudine ATTIAS-DONFUT
    • 1 302 mots

    La notion de génération est une catégorie qui procède non pas de données biologiques, mais de processus sociaux et temporels. Les naissances et décès continuels, par lesquels la société se renouvelle, ne forment pas en eux-mêmes des générations. Celles-ci sont des abstractions, des produits...

  • HISTOIRE (Histoire et historiens) - L'écriture de l'histoire

    • Écrit par Christian DELACROIX
    • 4 397 mots
    ... en France ou des historiens comme Lewis Namier et Richard H. Tawney en Grande-Bretagne s'en prennent ouvertement à « l'histoire narrative » des événements. Pour les Annales, la problématisation de la question de l'écriture est en quelque sorte « englobée » dans la condamnation de l'histoire «...
  • HISTOIRE (Domaines et champs) - Anthropologie historique

    • Écrit par André BURGUIÈRE
    • 3 148 mots
    • 1 média
    ...pas de la confrontation militaire elle-même, qui s'est soldée par la déroute des Portugais, mais de la confrontation de deux, voire trois mémoires de l'événement qui vont traverser le temps : une mémoire malheureuse des Portugais qui ont perdu le même jour leur roi et leur indépendance ; une mémoire...

Voir aussi