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HOFFMANN ERNST THEODOR AMADEUS (1776-1822)

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Poésie et vérité

L'œuvre d'Hoffmann doit une part de sa célébrité, non la meilleure sans doute, aux accessoires effrayants de ses « histoires à faire peur », ses « histoires de fantômes » (Spuckgeschichten). Sans souci des lecteurs superficiels, Hoffmann multiplie à plaisir les histoires de revenants, enterrés vifs, magiciens et horribles sorcières édentées qui peuplaient la littérature allemande du temps. Lui-même n'y croyait nullement, mais se servait de ces procédés peut-être un peu faciles pour exprimer, faute de moyens plus directs, sa propre angoisse.

Alors que la littérature telle qu'il la conçoit est nécessairement liée au monde extérieur, la musique n'appartiendrait selon lui qu'au monde purement spirituel. Parce qu'il ne sut pas peut-être y créer le pôle antithétique qu'il trouve dans la littérature, Hoffmann ne put créer « sa » vraie musique et son œuvre musicale est tombée dans l'oubli malgré quelques efforts pour la faire renaître. L'élément « démonique » – au sens goethéen – qu'Hoffmann perçoit dans la musique se retrouve cependant dans sa création la plus originale, chez le musicien fou Kreisler dont la biographie, qui devait constituer une œuvre autonome, se trouve éparpillée dans Le Chat Murr (Die Lebensansichten des Katers Murr, écrite à Berlin à partir de 1814, publiée en 1819-1821). Il y a sans doute une grande part de confession dans le jugement que l'auteur porte sur son personnage : nous devons, dit-il, « le considérer comme un musicien portant les traits du génie mais non pas génial lui-même, comme un génie raté et malheureux et nous devons attribuer sa folie à la démesure de son imagination débridée et incapable de trouver une forme ». Kreisler assume jusqu'à l'amour malheureux d'Hoffmann pour Julia Marc qui traverse sa vie et son œuvre. Tombé amoureux de son élève âgée de quinze ans alors que lui, marié depuis neuf ans, en avait trente-cinq, sa jalousie fut si forte qu'il en vint aux mains avec le fiancé de la jeune fille. Le scandale lui fermait la porte des Marc, mais Julia n'a cessé de l'inspirer. Elle a suscité une réinterprétation du personnage de Don Juan dans la nouvelle du même nom et son souvenir a imprégné l'une de ses œuvres essentielles, Les Élixirs du Diable (Die Elixiere des Teufels).

On a souvent écrit que Julia a été pour le conteur une révélation de l'opposition entre le monde de l'esprit pur (elle fut toujours inaccessible) et le monde réel qui eut pour lui une portée aussi haute que celle que Hölderlin reçut de Diotima ou Novalis de Sophie. Les ressemblances ne sont pourtant qu'extérieures, et il est difficile d'attribuer à la pensée d'Hoffmann la même profondeur qu'à celle de Hölderlin ou de Novalis. On ne peut cependant lui dénier d'avoir conféré à un genre fort exploité une forme neuve. Le fantastique n'est peut-être que l'aspect le plus superficiel de son œuvre, même s'il en est le plus visible. En revanche, premier écrivain véritablement citadin de la littérature allemande, il ouvre une voie nouvelle en refusant de présenter des destins exemplaires et désincarnés (comme pouvait le faire Kleist dans son Michael Kolhaas). Ses personnages existent de toute la force de leurs particularités physiques (souvent grotesques et risibles), sociales, morales. C'est plus par ce style qu'il influencera Theodor Storm, Thomas Mann puis Franz Kafka que par l'originalité d'une pensée. Autant que l'apogée du romantisme, il en est l'une des dernières expressions et l'initiateur d'une ère nouvelle.

— Michel-François DEMET

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Pour citer cet article

Michel-François DEMET et Marc VIGNAL. HOFFMANN ERNST THEODOR AMADEUS (1776-1822) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

Autres références

  • LE CHAT MURR, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 869 mots

    Lorsque paraît le second volume du Chat Murr, en décembre 1821, E. T. A. Hoffmann n'a plus que quelques mois à vivre : la maladie l'emporte le 25 juin 1822, avant qu'il ait pu commencer la rédaction du troisième et dernier volume du roman. Cette fin abrupte contraste avec l'extrême vitalité d'un auteur...

  • CLASSIQUE MUSIQUE DITE

    • Écrit par
    • 923 mots
    • 4 médias

    L'expression « musique classique » recouvre, selon les cas, des réalités fort diverses. La musique « classique » peut s'opposer à la musique dite populaire, légère ou de variété, et comprend alors toute la musique savante (ou sérieuse) européenne, des prédécesseurs de Pérotin aux...

  • DON JUAN

    • Écrit par
    • 5 639 mots
    La plus directement issue de cet opéra est la « fantaisie » du même nom publiée en 1813 par le conteur allemand E.T.A. Hoffmann. Celui-ci, musicien lui-même, a prétendu recevoir de la seule musique le message intime de don Juan. Rêve éveillé d'un spectateur remué en ses tréfonds par les accents...
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    .... Ce Britannique signa, à partir de 1827, une œuvre en quatre parties, De l’assassinat considéré comme un des Beaux Arts, qu’il acheva en 1854. Mademoiselle de Scudéry, un récit criminel publié en 1818 par E.T.A. Hoffmann, se déroule en 1860 dans un Paris où les crimes d’un tueur en série affolent...