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CONTE

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Le conte, mort ou vif ?

Le conte, on l'a vu, naît toujours de la rencontre de deux imaginaires. Si la mémoire collective, au terme d'une lente décantation, en fixe le schéma narratif, celui-ci ne prend vie que lorsqu'il s'incarne dans un artiste à part entière, conteur doué ou écrivain. Mais cette existence même semble menacée, et nombre d'observateurs annoncent que le conte, en Europe occidentale tout au moins, est voué à une disparition prochaine. Aussi le discours sur le conte se conjugue-t-il aujourd'hui à l'imparfait : « Il était une fois les contes... » Ce « Il était une fois » ouvre la porte à bien des nostalgies. Le conte merveilleux éveille au cœur de chaque citadin le rêve d'un ailleurs et d'un jadis sur lequel la pauvreté, la laideur et la sauvagerie n'avaient aucune prise. Les contes ont pris le chiffre de cette campagne idyllique où ne sévissaient ni la pollution, ni les engrais, ni les tracteurs, ni les usines, où le soleil poudroyait, où l'herbe verdoyait sans le secours des écologistes. Mais sœur Anne sur sa tour ne voit plus rien venir. Car le conte est fini pour nous.

Or, il en est du conte comme de tout objet folklorique : « on le voit surtout lorsqu'il semble disparaître », écrit Nicole Belmont ; au xixe siècle déjà, Gérard de Nerval évoque ces « histoires qui se perdent avec la mémoire et la vie des bonnes gens du passé ». Mais, comme le note Michael Screech, le Chicanou de Rabelais ne s'exprime pas autrement : « Toutes bonnes coutumes se perdent », affirme-t-il dès 1541.

Si donc le conte merveilleux, lié à la société rurale traditionnelle, s'estompe dans les mémoires défaillantes des conteurs paysans, gardons-nous de conclure un peu hâtivement à la mort du conte et du texte oral en général. Le déclin des veillées à la campagne ne doit pas nous faire oublier les autres institutions de transfert où la parole circulait et circule encore : le café, le foirail, la rue, le pas-de-porte, le magasin ou le bureau de poste aujourd'hui. Dans les cours de récréation, le folklore enfantin intègre les personnages de la télévision (les Dalton ou Goldorak), de la publicité (les enzymes gloutons) ; il n'en reste pas moins plein de « comptines coquines », plein de zizis coupés et de « cacas-boudins » qui échappent au contrôle des parents et du maître. Les clochards, oubliés sur leurs bancs par notre société de consommation, se racontent inlassablement des histoires de clochards. Dans les prisons retentissent toujours ces chansons de taulards qui ont inspiré à Pierre Goldman quelques-unes de ses plus belles pages. Partout où il y a privation d'espoir le récit oral existe, car il est un moyen de résistance active. À Per Jakez Helias qui demandait à un conteur breton : « Pourquoi contez-vous ? », ce dernier répondit : « Si je conte c'est pour réagir contre tout ce qui nous brime. »

— Bernadette BRICOUT

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Pour citer cet article

Bernadette BRICOUT. CONTE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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Les frères Grimm - crédits : General Photographic Agency/ Hulton Archive/ Getty Images

Les frères Grimm

Geneviève Calame-Griaule - crédits : D.R.

Geneviève Calame-Griaule

Autres références

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