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CINÉMA (Aspects généraux) Les théories du cinéma

Cinéma et technique

Cathédrale de l'avenir, nouvelle alchimie, révélation du visage, le monde rendu à sa transparence par la technique, mise en œuvre des lois de la nature, de l'histoire, de la pensée – autant de possibilités que proposait le cinéma. Mais voilà qu'il se réduit à raconter des histoires. C'est qu'il n'est pas seulement « par ailleurs une industrie », comme l'écrira Malraux (Esquisse d'une psychologie du cinéma, 1939) après avoir longuement parlé de l'art. Il l'est d'abord. Surtout avec le parlant qui, en exigeant un matériel et des conditions de tournage fort coûteux, va fermer la porte des studios au cinéma d'avant-garde et aux nouvelles théories. Il faudra, entre autres événements, la destruction des studios en Italie ou l'invention du matériel léger pour la télévision afin qu'apparaissent d'autres avant-gardes. Les années trente marquent à l'inverse le temps des reflux et des « réalismes ».

L'essai de Walter Benjamin (1892-1940), L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (1936), doit beaucoup à Vertov. Il coupe court à la synthèse des arts et envisage d'autres possibilités. Pour Benjamin, la reproduction technique détruit l'« aura » propre à l'œuvre d'art – l'unique apparition d'un lointain, aussi proche soit-il, capable de faire se lever le regard. Elle crée, avec le gros plan, la pseudo-aura des « idoles » : la star et le dictateur. Le développement de la technique liquide la tradition, détruit l'expérience et l'accumulation temporelle constitutive de l'objet et du sens, rendant ainsi la narration impossible. Dès lors se produit un changement de fonction de l'art, qui perd sa valeur cultuelle pour acquérir une valeur d'exposition, et devient politique. On mesurera la portée des textes de Benjamin plus tard, lorsque la télévision aura sur le cinéma le même effet que la photographie sur la peinture, la grande presse sur la littérature, lorsque, désenchantés, les films s'interrogeront sur leur propre possibilité.

Prenant en compte la radicalité du texte de Benjamin, sans aucune illusion sur ses dimensions utopiques, Theodor Adorno (1903-1969) et Max Horkheimer (1895-1973) élaborent, en 1942, la première théorie systématique de « la production industrielle des biens culturels ». Cette théorie aussi prendra son sens plus tard, lorsque, avec l'hégémonie sociale et politique des classes moyennes, l'industrie culturelle – comme système intégré d'information, de communication et de consommation centré autour de la télévision – deviendra la forme dominante de l'« idéologie » dans les sociétés dites post-industrielles. On verra, avec le développement de ce système, l'étau se resserrer sur la possibilité d'un art cinématographique. De là, l'aura de nostalgie qui entoure aujourd'hui, dans la pratique et dans la théorie, ce cinéma honnêtement narratif des années trente, élevé après coup au rang d'une réalisation « hautement culturelle », tandis que pendant la guerre un autre cinéma et d'autres théories étaient nés contre lui.

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Pour citer cet article

Youssef ISHAGHPOUR. CINÉMA (Aspects généraux) - Les théories du cinéma [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Antonin Artaud dans <it>La Passion de Jeanne d'Arc</it> - crédits : Henry Guttmann/ Getty Images

Antonin Artaud dans La Passion de Jeanne d'Arc

Eisenstein - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Eisenstein

Autres références

  • ACTEUR

    • Écrit par Dominique PAQUET
    • 6 815 mots
    • 2 médias
    Aux débuts du cinéma, l'acteur ne paraît pas un instant différent de l'acteur de théâtre. Car ce sont les mêmes qui, dans les premiers films de Méliès, interprètent les textes classiques. De même, dans le cinéma expressionniste, la technique de monstration et de dévoilement de l'expression appartient...
  • AFRICAINS CINÉMAS

    • Écrit par Jean-Louis COMOLLI
    • 1 131 mots

    L'histoire des cinémas africains se sépare difficilement de celle de la décolonisation. Il y eut d'abord des films de Blancs tournés en Afrique. Puis, à partir des années soixante, les nouveaux États africains ont été confrontés au problème de savoir quel rôle, quelle orientation, quels...

  • ALLEMAND CINÉMA

    • Écrit par Pierre GRAS, Daniel SAUVAGET
    • 10 274 mots
    • 7 médias

    Le cinéaste Volker Schlöndorff a suggéré que l'histoire du cinéma allemand était faite d'une série de ruptures esthétiques mais aussi d'une grande continuité dans le domaine de l'industrie cinématographique. L'alternance entre les phases les plus inventives, comme celles des années 1918-1933, voire...

  • AMENGUAL BARTHÉLEMY (1919-2005)

    • Écrit par Suzanne LIANDRAT-GUIGUES
    • 758 mots

    L'œuvre d'écrivain de cinéma de Barthélemy Amengual est considérable, autant par sa quantité (une douzaine d'ouvrages et une multitude d'articles) que par l'acuité de son propos. Comparable aux meilleurs analystes français de sa génération (tels André Bazin ou Henri...

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