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PANAMÁ AFFAIRE DE

Le plus grand scandale financier et politique de la IIIe République fut provoqué par la liquidation judiciaire de la Compagnie universelle du canal interocéanique en février 1889. Ferdinand de Lesseps, qui jouissait d'une popularité immense à la suite du percement du canal de Suez, était à la tête de l'entreprise de Panamá. Contre l'avis des techniciens, il prétendit pouvoir mener à bien les travaux considérables que le climat et le relief rendaient particulièrement aléatoires. Pour financer les travaux, Lesseps s'adressa aux petits épargnants. Conseillée par des aventuriers de la finance, une vaste campagne de presse largement subventionnée permit de recueillir et de dépenser des sommes considérables. Cachant au public les difficultés grandissantes de l'entreprise, la Compagnie engloutit, de 1880 à 1888, un milliard quatre cents millions de francs de l'époque. Renonçant au percement d'un canal à niveau, Ferdinand de Lesseps fit appel à Gustave Eiffel pour construire un canal à écluses. En 1885, il voulut lancer un emprunt sous forme d'obligations à lots pour lequel une loi était nécessaire. Celle-ci fut votée en 1888, malgré un rapport défavorable fourni en 1886 par l'ingénieur Rousseau. Baïhaut, Rouvier, Clemenceau et beaucoup d'autres furent accusés d'avoir profité de l'aventure, tandis qu'une campagne d'opinion menée par les partisans de Boulanger empoisonnait l'affaire. La Compagnie fut mise en liquidation : 85 000 souscripteurs, petits épargnants pour la plupart, étaient ruinés. Malgré les plaintes, le scandale n'éclata qu'en septembre 1892, lorsque Édouard Drumont fit paraître une série d'articles intitulés « Micros » dans la revue antisémite La Libre Parole, sous le titre « Les Dessous de Panamá ». Le financier Jacques de Reinach, mis en cause, tenta de contraindre le gouvernement à étouffer l'affaire en livrant à La Libre Parole une liste de personnalités politiques ayant profité des largesses de Lesseps, contre l'assurance que son nom ne serait pas mentionné. Mais il était trop tard. Le ministre de la Justice décida d'intenter des poursuites correctionnelles contre les administrateurs et les intermédiaires. Reinach fut retrouvé mort, Cornélius Herz et Léopold Aaron, dit Arton, s'étaient enfuis à l'étranger. Une commission d'enquête de la Chambre des députés tenta plus ou moins d'apporter un peu d'ordre dans l'énorme bruit que soulevaient les « révélations » sur les « chéquards », c'est-à-dire les hommes politiques qui se seraient laissé corrompre par des chèques. De nombreuses chutes de ministères émaillèrent la crise. La condamnation des administrateurs intervint en 1893. Des hommes politiques impliqués, un seul reconnut sa culpabilité, ce qui lui valut d'être le seul condamné (Baïhaut, ancien ministre des Travaux publics). Ferdinand de Lesseps, alors âgé de quatre-vingt-huit ans, n'avait pas comparu devant le tribunal ; la sentence condamnant son fils fut cassée pour vice de forme la même année, sans renvoi en raison de la prescription. Mais l'affaire de Panamá eut une répercussion énorme. Aux élections de septembre 1893, nombre d'hommes politiques furent écartés, parmi lesquels Clemenceau, tandis qu'une partie de l'opinion perdait confiance dans le régime parlementaire et devenait attentive à la dénonciation du régime au moment où éclatait l'affaire Dreyfus. Enfin, l'épargne française se détourna des grandes entreprises industrielles pour préférer les petites valeurs à revenus fixes et les emprunts d'État. Le scandale financier doublait le scandale politique. L'antisémitisme allait y trouver des prétextes, et une forme d'antirépublicanisme des justifications.

— Armel MARIN

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Écrit par

  • : metteur en scène, conseiller en éducation populaire et techniques d'expression

Classification

Pour citer cet article

Armel MARIN. PANAMÁ AFFAIRE DE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANTISÉMITISME

    • Écrit par Esther BENBASSA
    • 12 229 mots
    • 9 médias
    ...derniers, alors même que le procès condamne son fondateur pour opérations frauduleuses. La droite et la presse catholiques se déchaînent contre les juifs. Dix années plus tard, le scandale de Panamá, affaire de corruption politique impliquant parmi beaucoup d'autres quelques hommes d'affaires juifs, se...
  • EIFFEL GUSTAVE (1832-1923)

    • Écrit par Frédéric SEITZ
    • 2 694 mots
    • 6 médias
    La tour Eiffel sera la dernière construction de son créateur. En 1892 éclate le plus important scandale financier de la IIIe République : l'affaire du canal de Panamá. Gustave Eiffel y est impliqué en tant qu’entrepreneur. Ferdinand de Lesseps, après avoir échoué dans son projet de réaliser...
  • LESSEPS FERDINAND vicomte de (1805-1894)

    • Écrit par Armel MARIN
    • 237 mots

    Diplomate, Ferdinand de Lesseps occupa des postes successifs en Égypte, où il devint l'ami du prince héritier Sa‘īd. Ministre à Madrid, puis à Rome en 1849, au moment de l'intervention des troupes françaises, il y signa un accord qui dépassait ses pouvoirs et fut désavoué. Il quitta...

  • PANAMÁ

    • Écrit par Universalis, David GARIBAY, Lucile MÉDINA-NICOLAS, Alain VIEILLARD-BARON
    • 9 913 mots
    • 8 médias
    ...de Suez sombre dans la sénilité ; ainsi du moins restera-t-il en marge de la campagne de calomnies qui va se déchaîner ; il s'éteint en décembre 1894. Le scandale a éclaté, en effet, en 1891 ; les dirigeants de la Compagnie sont traduits devant les tribunaux. S'ils sont finalement absous du chef de fraude,...
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Voir aussi