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AUDEN WYSTAN HUGH (1907-1973)

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Un poète protéen

Difficile à saisir dans sa mobilité, Auden n'a pas manqué d'être durement attaqué : on ne lui a pas pardonné ses changements d'opinion, ses virevoltes. Aussi souple que John Dryden (auquel il ressemble par ce « style moyen » qu'il a adopté et contribué à répandre), sensible aux fluctuations de l'historien, Auden n'entend pas s'abstraire des remous, du chaos qu'elle impose, cependant qu'il refuse de se soumettre aux dogmes qu'elle risque d'inculquer. Dans les années 1930, au moment de la dépression, la position d'Auden est ferme : ses sympathies vont à l'Espagne déchirée, à son peuple souffrant, mais il s'élève contre ceux qui font de la poésie le véhicule d'idées politiques.

En 1939, il s'établit aux États-Unis, inaugurant ainsi un exil culturel original, à l'inverse du trajet que d'illustres Américains avaient tracé avant lui, de Henry James à Ezra Pound. Une distance s'accuse alors entre le poète et l'événement ; puis, en 1940, sa conversion au catholicisme lui permet de se retrancher derrière l'orthodoxie, sans pour autant éteindre sa veine satirique. For the Time Being(1945), conçu comme un oratorio de Noël et composé à la mémoire de sa mère, fourmille d'anachronismes savoureux et de pointes mordantes.

Stephen Spender écrivait en 1953 que la poésie d'Auden « offre un commentaire brillant sur l'histoire contemporaine » : une telle formule conviendrait à The Orators(1932) ou à The Age of Anxiety(1946). Cependant, avec For the Time Being(1945) et The Shield of Achilles (1955), le poète dépasse le niveau de la simple chronique ou des vers de circonstance. Non que son ambition soit démesurée ; écrire, pour lui, c'est instruire et divertir à la fois, d'où la variété de son style, la diversité des moyens employés, l'ingéniosité d'une technique qui sait passer du bouffon au sérieux.

« La poésie la plus vraie

est la plus artificielle. »

(The Shield of Achilles.)

Poète hautement conscient, héritier d'un riche passé culturel, Auden a su développer sa souplesse, sa prodigieuse versatilité, son goût de l'invention et de la parodie, au contact des maîtres les plus éprouvés : Dryden, Pope, Byron. C'est un homme du xviiie siècle, il en a la facilité, la légèreté, l'urbanité, l'insolence.

Auden est un poète de la lucidité, de la vérité qu'il souhaite traduire. Ses accents ont des notes rauques pour exprimer la réalité du monde moderne, âpre et cruel. Nulle mollesse, nulle douceur ne se perçoit dans ses accords, mais la ferme intransigeance, la volonté délibérée de ne point se leurrer et d'énoncer la discordance tout en dénonçant l'anarchie d'un monde oscillant entre « l'extase et l'épuisement ».

Télescopages dans le temps, anachronismes, brusques retours et brutal affrontement entre le passé mythique et le présent cynique, tels sont les procédés chers à Auden. La solitude, « cette abominable désolation », s'inscrit en relief dans cette œuvre si impersonnelle apparemment et qui s'interdit toute effusion pour mieux scander son message. Allusive mais non pas secrète, l'œuvre d'Auden répugne à l'illusion et se veut fidèle au réel, donc au hasard. Le poète élève sa voix dans le monde désert du paysage urbain, comme si la créature était sourde et aveugle. Non qu'il se targue d'apporter une solution à la trahison générale, mais, du moins, il s'efforce d'interpréter le dénuement de la société moderne.

Son chant, souvent railleur, caustique, persifleur, constitue un avertissement, une mise en garde : pour Auden, les mots sont des promesses que l'on se doit de tenir. Sa rhétorique se moque de la rhétorique, mais elle lui tord le cou avec science et méthode. Derrière[...]

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Auden et Isherwood - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Auden et Isherwood

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  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

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    ...d'un espace fatigué par l'industrie. Depuis 1922, l'Angleterre habite la Terre vaine. Les poètes des années 1930, Stephen Spender, Cecil Day Lewis, Wystan Hugh Auden, Louis Mac Neice, auront beau s'engager politiquement, ils ne feront que domestiquer les ruines, qu'habiter satiriquement la grisaille...