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BECKFORD WILLIAM (1759-1844)

Riche héritier d'une vieille famille anglaise, fils d'un fastueux lord-maire de Londres, membre du Parlement et pair d'Angleterre, William Beckford, précurseur du romantisme, appartient à la lignée des mystiques de l'enfer. À vingt et un ans, « infernal amant » de sa cousine et amoureux des jeunes garçons, il compose Vathek, un « conte arabe », imitation des contes orientaux à la mode de l'époque. À peu près au même moment, le marquis de Sade, dans sa prison, écrit Les Cent Vingt Journées de Sodome, Restif de la Bretonne compose ses Nuits de Paris et Casanova vieillissant rédige ses Mémoires.

Vathek a été composé directement en français. Le livre ne sera publié, d'abord dans la traduction anglaise, qu'en 1787. Mais Vathek, écrit peut-être au lendemain d'une orgie « satanique » de plusieurs jours, est plus qu'un simple divertissement de grand seigneur oisif. C'est, avant Byron qui l'appellera sa « Bible », avant Disraeli et dans la lignée de tous les Faust du Sturm und Drang, le récit d'un pacte avec le diable, l'histoire d'une descente aux enfers.

C'est aussi un récit inspiré de circonstances biographiques, dans lequel il est facile de reconnaître, sous les traits du calife Vathek, Beckford lui-même. Ce calife, neveu de Haroun al-Rachid, qui fait construire une tour de onze mille marches pour défier le ciel, c'est Beckford le révolté, celui qui, accusé de sodomie et de sorcellerie, crimes abominables dans l'Angleterre de l'époque, échappera de peu à la hache du bourreau mais sera banni de sa patrie. Ce prince sensuel et voluptueux qui édifie un palais pour chacun de ses cinq sens, c'est Beckford traînant derrière lui, dans son exil, tout un faste de musiciens, d'équipages et de cuisiniers. Ce calife qui se « voue au mal », mais qui retombe sans cesse dans le respect de la religion de ses pères, est le miroir des faiblesses et des hésitations de Beckford, qui s'est pourtant, lui aussi, voué à ce qu'il convient d'appeler le mal.

Mais plus profondément, c'est surtout à une descente vers son propre enfer intérieur que Beckford nous convie. Comment ne pas reconnaître en effet, dans Giaour, la puissance démoniaque qui, pour ouvrir à Vathek les portes de l'enfer, réclame son butin de jeunes garçons, Beckford lui-même, dévorant à sa manière les adolescents qu'il recherche ? Une mère hideuse et satanique, flanquée de négresses borgnes et de muets, relance sans cesse Vathek lorsqu'il faiblit dans sa détermination et le contraint à respecter son pacte avec Satan.

Outre Vathek, que Mallarmé admirait fort, et qu'il réédita en 1876 avec une préface devenue plus célèbre que le conte lui-même, Beckford a écrit de nombreuses lettres, des récits de voyages, rassemblés dans Rêves, fantasmes et incidents (Dreams, Waking Thoughts and Incidents, 1783), et dans L'Italie, avec des croquis sur l'Espagne et le Portugal (Italy, with Sketches of Spain and Portugal, 1834). En effet, à partir de 1784 et pour une dizaine d'années, il va errer à travers une Europe secouée par les soubresauts de la Révolution française. Comme Casanova, banni lui aussi de sa patrie, Beckford est l'un des derniers « intellectuels européens » qui hantaient l'Europe du siècle des Lumières. Mais pour Casanova, l'enfer, sa magie et ses mystères n'étaient qu'un moyen. Pour William Beckford, c'est une expérience quotidienne. Sa femme était morte dans une tour, au bord d'un lac. C'est dans la construction d'une tour gigantesque, deux fois effondrée et trois fois reconstruite, qu'il engloutit son immense fortune. Il doit alors vendre son château de Fonthill qui n'était pas encore achevé. Il meurt à Bath à quatre-vingt-cinq ans, sans confesseur ni sacrements.

— Ann Daphné[...]

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Écrit par

  • : agrégée de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VII

Classification

Pour citer cet article

Ann Daphné GRIEVE. BECKFORD WILLIAM (1759-1844) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...didactisme, est partagé entre les frissons morbides et les touches d'humour, entre la peinture de genre et les méditations lyriques (The Task, 1785), et de William Beckford (1759-1844) qui, dans Vathek (1784, écrit d'abord en français), raconte l'histoire de ses troubles liaisons sous le couvert d'un conte...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Architecture

    • Écrit par Monique MOSSER
    • 7 827 mots
    • 30 médias
    ...justifie son choix par des arguments préromantiques issus d'une méditation sur le passé national. L'étape suivante met en scène deux figures d'« amateurs » William Beckford et Horace Walpole. Ce dernier, qui fut l'auteur du Château d'Otrante, manifeste surtout une sorte de nostalgie historico-littéraire...
  • BOCAGE MANUEL MARIA BARBOSA DU (1765-1805)

    • Écrit par António COIMBRA MARTINS
    • 1 678 mots
    ...vivacité de l'expression, une éloquence efficace et touchante, que l'on chercherait en vain dans la poésie baroque de son pays. « En vérité, écrit W.  Beckford, on peut dire que ce personnage étrange et changeant possède la véritable baguette magique qui, au gré de son maître, anime ou pétrifie. »...
  • EXOTISME

    • Écrit par Mario PRAZ
    • 3 485 mots
    • 4 médias
    ...tard Christoph Martin Wieland en Allemagne), mais on trouve un exotisme de caractère romantique seulement dans le plus célèbre de ces contes, Vathek de William Beckford (1786), un pastiche à mi-chemin entre les Mille et Une Nuits et les contes philosophiques, dans le cadre assez sinistre des relations...

Voir aussi