Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VALKYRIES

L'œuvre de Wagner ne rend pas un compte exact du prestige trouble de ces fascinantes créations, ambiguës à plaisir, que sont les Valkyries dans la mythologie germano-nordique ancienne. Si leur nom paraît clair — ce sont elles qui choisissent (verbe kjósa, déverbatif -kyrja) les occis (valr), occis au combat sans doute ou en sacrifice aux divinités (de la guerre ?) —, leurs fonctions, leurs figures mêmes (qu'expriment beaucoup de leurs noms, auxquels il n'est pas interdit de conférer un sens recevable) présentent une extrême diversité. On peut tenter d'en proposer une élucidation, nécessairement hypothétique, d'ordre diachronique, en notant toutefois qu'une constante les définit : ce thème de l'aile ou de l'air qui fait d'elles des créatures-oiseaux.

Il est possible qu'elles aient d'abord été de féroces esprits femelles au service du dieu de la guerre (elles s'appellent Gunnr, « bataille » ; Hildr, même sens), cruels et armés de la lance odinique, chevauchant par les airs et sur les eaux, ou bien les implacables prêtresses sacrifiant aux puissances de la mort, par strangulation (Hlaðgunnr, « bataille-au-lacet ») ou par magie (Gondul, « qui manie la baguette magique ou gandr » ; Herfjoturr, « qui paralyse par des liens magiques »), comme l'attesteraient certaines survivances islandaises (dauðafylgja) ou certaines relations arabes (Ibn Fadhlan).

En un deuxième temps, elles auraient été annexées directement à l'odinisme pour représenter les femmes ailées chargées de choisir, sur les ordres d'Óðinn, les guerriers voués à mourir sur le champ de bataille. Elles se seraient alors plus ou moins confondues avec des déités du destin (fylgjur, hamingjur et surtout dísir) et même avec les Parques du Nord, les Nornes, ce qu'attesteraient et le nom d'une d'entre elles, Skuld, qui est aussi la troisième Norne, et le seul grand poème — le Darraðarljóð, dans la Saga de Njáll le Brûlé — qui parle d'elles en détail et qui les présente sous les traits de sinistres et sanglantes filandières. Elles seraient alors, en quelque sorte, des esprits des morts privilégiés qui doivent se choisir des congénères pour peupler la Valhöll ou paradis d'Óðinn de ces guerriers d'élite, les einherjar, indispensables aux dieux lors du combat suprême du Ragnarök.

Enfin, à une époque vraisemblablement plus récente, et conformément à un processus généralisé d'anthropomorphisation, elles seraient devenues plus humaines, plus « féminines » : ce sont elles qui servent la bière aux einherjar dans la Valhöll (Ölrún, « Maîtresse-à-la-bière ») ; elles auraient alors recouvert le très vieux thème populaire de la femme-cygne capable d'aimer d'amour et de s'unir à un homme (Volundarkviða, dans l'Edda poétique, le nom Svanhvit : Blanche-comme-Cygne). Brynhildr (Sigrdrífa), dans le cycle des poèmes héroïques de l'Edda, cumulerait assez bien ces trois aspects.

Mais rien n'empêche, à travers leurs avatars, de voir dans les Valkyries la figuration la plus poétique, la plus profondément séduisante aussi, que le Nord ancien a donnée au thème le plus profond de sa religion : le Destin.

— Régis BOYER

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. VALKYRIES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BRÜNHILD, BRÜNNHILDE ou BRYNHILDR

    • Écrit par Universalis
    • 300 mots

    Princesse guerrière à la grande beauté, héroïne de la littérature épique germanique du Moyen Âge et apparaissant dans d'anciennes sources noroises et nordiques (chants de l'Edda, saga islandaise des Völsungar) et, en allemand, dans le Nibelungenlied (début du xiiie siècle ; ...

  • MYTHOLOGIES - Dieux des peuples "barbares"

    • Écrit par Régis BOYER, Universalis, Pierre-Yves LAMBERT
    • 7 989 mots
    • 1 média
    ...du temps et de l'espace. Il est enfin le dieu de l'extase du secret fondamental du destin, qu'il connaît et façonne tout ensemble par ses messagères ou valkyries, également servantes du paradis où il règne, la Valhöll ou Walhalla. Ódinn est le pouvoir, qui, conscient de ses fins et dominé, part de...
  • NIBELUNGEN

    • Écrit par Pierre SERVANT, Georges ZINK
    • 4 120 mots
    • 2 médias
    ...injonctions de sa femme, Fricka, Wotan, qui comptait sur ce fils pour reprendre possession de l'or, se résout pourtant à le laisser périr. Malgré l'aide de la Walkyrie Brünnhilde, émue par l'amour (incestueux) du frère et de la sœur, Siegmund périt, moins sous les coups de Hunding que sous ceux de Wotan,...
  • VALHÖLL ou WALHALLA

    • Écrit par Régis BOYER
    • 424 mots

    Pour la mythologie germano-nordique, il existe deux sortes de « morts », si l'on peut dire : ceux qui ont trépassé de façon « banale », normale, et ceux qui sont tombés, les armes à la main, sur le champ de bataille, parce qu'ils ont été choisis par les émissaires d'Óðinn, les ...

Voir aussi