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TRIANGLE D'OR (Paris)

À Paris, les familles de la haute société, de la bourgeoisie ancienne et de la noblesse fortunée, ont manifesté leur position sociale par l'habitat qu'elles ont choisi et aménagé. Elles ont ainsi créé des quartiers, façonnés à leur image, sur des terres encore vierges, aux limites de Paris aux xviiie et xixe siècles (les faubourgs Saint-Germain et Saint-Honoré) ou, dans les années 1950, à Neuilly, en lotissant les parcs de vastes propriétés. Ces quartiers nouveaux, habités de manière homogène, bénéficient d'emblée d'une griffe spatiale, que l'on peut comparer à la griffe des grands couturiers et qui constitue un label de haute qualité.

Ces belles adresses attirent la convoitise du monde des affaires et des ambassades, en quête de localisations dignes de l'image qu'ils entendent donner d'eux-mêmes. Une implantation dans les beaux quartiers, pour le siège social d'une entreprise, pour une maison de haute couture, ou pour un cabinet d'avocats, devient un atout dans la stratégie de communication.

Les grands appartements et les hôtels particuliers sont progressivement transformés en bureaux et en ateliers pour les grands couturiers et les joailliers. Les banques et les sociétés d'assurances ont investi les Grands Boulevards dès le début du xixe siècle puis sous le second Empire. Place Vendôme les joailliers ont supplanté les familles nobles qui habitaient dans ces demeures construites à la fin du règne de Louis XIV : Boucheron s'installe en 1893, Cartier en 1899.

Un double mouvement se dégage donc, d'abord de colonisation d'espaces neufs par les grandes familles, puis de désaffection de celles-ci à l'égard de quartiers qui perdent leur âme à force d'être envahis par le monde des affaires. Les évolutions démographiques saisies par les recensements l'indiquent clairement : la population du VIIIe arrondissement, celui des Champs-Élysées, passe de 108 000 habitants en 1891 à 41 000 en 1990 alors qu'à la même date 225 000 personnes y travaillent.

Les familles fortunées subissent la pression immobilière exercée par des sociétés plus puissantes qu'elles, avec ce paradoxe que certains de leurs membres siègent dans les conseils d'administration qui décident des localisations.

Triangle d'or, Paris - crédits : Encyclopædia Universalis France

Triangle d'or, Paris

La mainmise progressive des affaires sur les beaux quartiers se joue en trois temps : apogée mondain d'une aire résidentielle, hégémonie des bureaux et des locaux commerciaux qui supplantent le tissu résidentiel, déclin social et immobilier d'un espace vidé de la substance sociale qui en faisait le prestige. Les trois actes de cette tragi-comédie urbaine se déroulent aujourd'hui simultanément sur les trois avenues qui dessinent ce que promoteurs et marchands de biens, en mal d'appellations flatteuses, ont baptisé le « Triangle d'or ». L'avenue George-V, l'avenue Montaigne et l'avenue des Champs-Élysées vivent en effet dans des chronologies décalées qui permettent d'observer, sur un territoire restreint, la naissance, la vie et la mort d'une griffe spatiale.

L'avenue George-V ou la lente érosion de la fonction résidentielle

Avenue George-V, les familles et les affaires cohabitent aujourd'hui encore. Givenchy ne s'y installe qu'en 1959 et Yves Saint Laurent y ouvre une boutique de prêt-à-porter et des bureaux en 1974 : le mouvement s'amorce lentement. Les hôtels particuliers de familles de la noblesse subsistent, par exemple au numéro 9, où habitèrent les marquis de Ganay. C'est aujourd'hui le siège de l'assemblée des chambres d'agriculture. Les immeubles qui jouxtent cette demeure sont occupés par les ambassades de Chine et d'Espagne. À côté ou en face, les immeubles encore résidentiels sont beaucoup plus nombreux que sur les autres avenues qui forment le Triangle d'or.[...]

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Triangle d'or, Paris - crédits : Encyclopædia Universalis France

Triangle d'or, Paris