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TRACTATUS LOGICO-PHILOSOPHICUS, Ludwig Wittgenstein Fiche de lecture

Dire et montrer

L’accueil qui fut réservé au Tractatus, dans les années qui ont suivi sa publication, témoigne à sa manière des difficultés de l’ouvrage et du type de malentendu auquel il était probablement destiné à donner lieu. Russell, le premier, dans la Préface qu’il écrivit pour la traduction anglaise, ne cache pas son embarras, bien qu’il ne dissimule pas non plus son admiration pour Wittgenstein. Frege, qui en avait reçu une copie, exprime sans détours son incompréhension dans une série de lettres qui permettent de voir à quel point ce livre apparaissait comme un corps étranger dans l’univers philosophique.

Dans sa correspondance avec Ludwig von Ficker, Wittgenstein a été amené à s’expliquer sur le sens de son entreprise. Pour cela, il insiste sur un point qui constitue un aspect majeur de sa conception du langage. Dans la doctrine du Tractatus, en effet, le principe même qui donne son sens à la proposition exclut qu’on puisse en fournir un métalangage. Ce qui en fait l’image d’un état de chose, et qui fait qu’elle dit ce qu’elle dit, ne peut pas se dire, mais seulement se montrer. Le sens de la proposition se montre en elle, il ne se dit pas. D’où la dernière proposition du Tractatus : « Ce dont on ne peut parler, il convient de le taire. » Cette dernière proposition a suscité de nombreux commentaires. Elle explique qu’on ait pu voir dans le Tractatus, tantôt une sorte de bréviaire positiviste, tantôt un ouvrage aux accents mystiques.

La distinction que Wittgenstein y établit entre dire et montrer n’en est pas moins une pièce maîtresse du livre. Elle explique, entre autres, pourquoi la description des limites du langage qu’on y trouve est menée de l’intérieur, pourquoi les propositions qui le constituent ne sont pas des propositions, mais plutôt une sorte d’échelle qu’il convient de repousser une fois qu’on en a gravi les barreaux. Lorsque Wittgenstein déclare à von Ficker que l’ouvrage possède une signification éthique et littéraire, c’est d’abord à cela qu’il pense.

Dans les années qui ont suivi la publication du Tractatus, Wittgenstein s’est détourné de la philosophie. Lorsqu’il y est revenu, ce fut pour s’engager dans d’autres voies – celles de ce qu’on a pris l’habitude d’appeler sa « seconde philosophie ». Au-delà des plus amples commentaires qu’il faudrait en donner, on observera que dans le Tractatus une conception « minimale », voire « thérapeutique » de la philosophie était déjà à l’œuvre.

— Jean-Pierre COMETTI

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Pour citer cet article

Jean-Pierre COMETTI. TRACTATUS LOGICO-PHILOSOPHICUS, Ludwig Wittgenstein - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Ludwig Wittgenstein - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Ludwig Wittgenstein

Autres références

  • INTERPRÉTATION (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 579 mots
    ...plus ou moins comparable. Mais c’est au cœur de l’Europe continentale, à Vienne, qu’un philosophe est allé le plus loin dans cette voie, en la personne de Ludwig Wittgenstein (1889-1951). Il définit en ces termes, dans son Tractatus logico-philosophicus (1922), la mission de la philosophie : « Le résultat...
  • LANGAGE PHILOSOPHIES DU

    • Écrit par Jean-Pierre COMETTI, Paul RICŒUR
    • 23 538 mots
    • 9 médias
    ...œuvre majeure ; d'autre part, des introductions et commentaires extrêmement précieux ont vu le jour ; les plus importants d'entre eux sont consacrés au Tractatus logico-philosophicuset à sa conception des rapports du langage et du monde condensée dans la picture theory ; ils prolongent ainsi l'influence...
  • ONTOLOGIE

    • Écrit par Paul RICŒUR
    • 15 658 mots
    • 1 média
    ...meilleur qu'on puisse donner, non seulement de la problématique ontologique déployée par le langage, mais des perplexités considérables qui s'y rattachent. La dualité des objets (répondants des noms) et des faits (répondants des phrases) élaborée par Russell, avant qu'il ait rencontré Wittgenstein, se retrouve...
  • PHILOSOPHIE ANALYTIQUE

    • Écrit par Francis JACQUES, Denis ZASLAWSKY
    • 13 428 mots
    • 3 médias
    Certes, le discours philosophique existe. Wittgenstein, dans leTractatus, transpose plusieurs thèmes kantiens : la priorité de la critique sur la doctrine ; le sens défini par rapport au non-sens ; la place faite à un au-delà du langage et de la connaissance. On retrouve même le paradigme kantien...

Voir aussi