Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ORGANISATIONS THÉORIE DES

La « socioanalyse » des organisations

Le terme de « socioanalyse » a été forgé par Elliott Jaques, médecin psychanalyste anglais, longtemps attaché au Tavistock Institute of Human Relations, centre britannique fort important de recherches en sciences humaines, qui a également eu pour membres les célèbres psychiatres R. D. Laing et D. Cooper, dont les études sur l'organisation familiale ont contribué à donner naissance à l'antipsychiatrie. Jaques a voulu appliquer à la théorie des organisations les principaux concepts de la psychanalyse en empruntant la voie ouverte par Freud lui-même dans Psychologie collective et analyse du Moi (1921). La socioanalyse est l'étude des comportements des individus en groupe, des attitudes conscientes et inconscientes des groupes, des mécanismes de défense forgés par ceux-ci pour se protéger de toute ingérence extérieure. Le socioanalyste doit prendre l'attitude d'abstinence du psychanalyste : il n'a pas à intervenir par ses conseils dans le fonctionnement de l'organisation ; il revient à cette dernière de prendre elle-même conscience des causes de ses dysfonctionnements. Jaques, qui travaille depuis vingt ans dans une grande entreprise anglaise de métallurgie et de construction mécanique, la Glacier Metal Company, réunit en séances de discussion des membres de toutes les catégories socio-professionnelles de l'entreprise pour qu'ils prennent conscience des problèmes de fonctionnement de celle-ci. L'objectif est de rendre manifeste à l'organisation ses propres tensions internes. Comme le psychanalyste peut l'observer avec son patient dans la cure individuelle, Jaques repère l'ambivalence de l'attitude de l'organisation envers le traitement. C'est que, à l'instar du patient dans la cure, elle craint autant le changement qu'elle le désire. Le socioanalyste fera advenir à la conscience des membres de l'organisation ces réticences et ces craintes pour qu'ils en triomphent.

Ce que Jaques appelle la « culture » d'une organisation désigne les comportements types qui s'y trouvent adoptés.

La théorie des organisations se doit donc d'étudier les interactions qui existent entre la structure sociale de l'organisation, sa culture et la personnalité de chacun de ses membres. De ce point de vue, Jaques insiste sur l'importance de la clarification des rôles joués par chacun des agents – souvent, la confusion des rôles a une fonction précise, et inconsciemment motivée : elle est une défense contre l'anxiété qui étreint les individus lorsqu'ils saisissent les contradictions qui existent entre leur personnalité et le ou les rôles qu'ils assument. Aussi estime-t-il que la constitution d'un organigramme clair et accepté par tous est une condition indispensable à la bonne marche d'une organisation. Il faut, de même, que la communication fonctionne bien, ce qui ne signifie pas que les agents doivent communiquer à tout prix. Jaques distingue, à ce sujet, ce qu'il appelle la « ségrégation adaptative » et la « segmentation inadaptée » de la communication. La ségrégation adaptative permet aux agents d'éviter les excès de la communication pour la communication ; c'est ainsi que Jaques juge l'attitude d'abstention de nombreux travailleurs à l'égard du comité d'entreprise car elle permet l'autosélection des agents intéressés pour remplir les fonctions de consultation qu'il exerce. La segmentation inadaptée, au contraire, est un frein à la bonne marche de l'entreprise. Elle provient des tensions entre les différents groupes. Celles-ci ralentissent ou rendent impossible la transmission d'informations importantes.

L'étude de Jaques a permis de saisir des éléments importants que l'analyse classique des relations humaines ne pouvait[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de philosophie, assistant à la faculté des lettres de Reims

Classification

Pour citer cet article

René DAVAL. ORGANISATIONS THÉORIE DES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ADMINISTRATION - La science administrative

    • Écrit par Jacques CHEVALLIER, Danièle LOCHAK
    • 3 208 mots
    ...l'analyse du modèle d'organisation bureaucratique par Max Weber) et aux praticiens de la gestion comme Taylor ou Fayol, précurseurs du management moderne : Taylor cherche à fonder scientifiquement l'organisation du travail dans l'entreprise afin d'obtenir un rendement optimal et un profit maximal, Fayol s'attache...
  • ADMINISTRATIVE BEHAVIOR, Herbert A. Simon - Fiche de lecture

    • Écrit par Catherine QUINET
    • 959 mots

    Au début des années 1940, il existe au sein des sciences administratives américaines un accord sur quatre principes supposés garantir la bonne gestion des affaires publiques ou des entreprises : la spécialisation des tâches ; l'unité de commandement ; la limitation de l'aire de contrôle d'un supérieur...

  • BUREAUCRATIE

    • Écrit par Michel CROZIER
    • 4 267 mots

    Le mot « bureaucratie » est un des termes clefs du vocabulaire des sciences sociales contemporaines. Autour du problème (ou des problèmes) de la bureaucratie se poursuit depuis près d'un siècle un débat des plus animés. Mais le terme lui-même – et c'est peut-être ce qui a fait sa fortune – n'a pas reçu...

  • COASE RONALD HARRY (1910-2013)

    • Écrit par Françoise PICHON-MAMÈRE
    • 1 310 mots

    C'est seulement à l'âge de quatre-vingt-un ans que Ronald H. Coase, professeur émérite de l'université de Chicago, se vit attribuer le prix Nobel d'économie, à la fois pour ses travaux sur la nature des organisations et pour ses analyses sur les modalités de certaines régulations...

  • Afficher les 26 références

Voir aussi