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SOUS LE SOLEIL DE SATAN, film de Maurice Pialat

Une foi vécue physiquement

Admirablement servi par l'image de Willy Kurant, qui utilise la lumière pâle de l'Artois et capte de magnifiques paysages vallonnés sous des ciels immenses, Pialat situe discrètement le film dans une France d'hier, mais qui paraît proche, sans automobile, sans radio, en même temps qu'il fuit tout pittoresque d'époque. Une France qu'on voit rarement au cinéma, celle des champs, où le langage des personnages comporte des expressions familières et directes. La soutane noire est l'élément le plus volontairement « anachronique » dans l'image, symbolisant la revendication d'une exigence et d'une mission. La question de la foi personnelle de Pialat ne se pose pas. C'est la noblesse de l'être humain, et la tragédie du divorce entre ses aspirations et ses possibilités, qui constitue le sujet véritable du film.

Maurice Pialat reste fidèle au texte de Bernanos, publié en 1926 ; mais c'est sans doute à notre époque que le réalisateur pense lorsqu'il fait dire à Menou-Segrais, reprenant un dialogue du livre : « Aujourd'hui, que fait-on pour la vie intérieure ? On fait de la morale une hygiène des sens. » Son film célèbre cependant, comme toujours chez lui, l'authenticité des humbles, et rappelle que Pialat fut longtemps l'un des rares réalisateurs français sachant filmer le peuple.

Après Loulou, 1980, et Police, Gérard Depardieu joue ici pour la troisième fois chez Pialat, qu'il retrouvera dans le dernier film de celui-ci, Le Garçu, 1995. L'acteur a rarement été aussi fervent et humble, donc aussi crédible et émouvant, « se donnant » à un texte comme le personnage se donne à son destin après avoir beaucoup douté. Sandrine Bonnaire (révélée par Pialat dans À nos amours, en 1983) est remarquable, bien qu'un peu trop adulte et charnelle pour incarner la Mouchette de Bernanos, et le réalisateur, qui ne fait pas là ses débuts à l'écran, utilise ici sa présence naturelle, étrange mélange de rudesse et de bonté, pour dire remarquablement la prose compacte et châtiée de Bernanos.

Le roman comporte des éléments surnaturels et spectaculaires (le Diable consacre une pierre du chemin, comme si c'était une hostie, et la porte au rouge en poussant un hennissement) que Pialat n'a pas conservés : la confrontation avec le démon n'est dans son film que la rencontre de deux hommes, parole contre parole. Cette rencontre du mystérieux maquignon et de Donissan, celle de Donissan et de Mouchette, et la résurrection du petit garçon sont filmées d'une façon étrangement semblable, comme trois corps à corps où l'on chercherait à redonner à la parole humaine, seule manifestation du spirituel, toute sa force, en la combinant avec l'engagement physique.

Comme accompagnement musical, Maurice Pialat cite seulement deux minutes du scherzo de la première symphonie d'Henry Dutilleux, qui intervient à plusieurs reprises, et ne se mélange jamais avec les bruits de la vie. Ce scherzo aux accents envoûtants, tournant inlassablement autour d'une note, accompagne notamment Donissan dans ses marches d'homme perdu à travers les champs et les coteaux.

La simplicité du film a souvent conduit à le mésestimer, non seulement par les adversaires du réalisateur (auxquels celui-ci adressa, lors de la remise de son prix à Cannes, un mémorable « je ne vous aime pas non plus »), mais aussi par certains de ses défenseurs, qui ont parlé d'académisme. Cette œuvre toute de ferveur sans ostentation nous semble pourtant une des rencontres les plus bouleversantes de la littérature française et du cinéma.

— Michel CHION

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Écrit par

  • : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III

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