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PAUVRETÉ SOCIOLOGIE DE LA

La pauvreté est une notion floue, profondément ambiguë, peut-être même contestable. La réalité qu'elle recouvre a été vécue, traitée, pensée depuis des siècles ; pourtant, rien ne semble moins évident que de lui donner un contenu. L'appréhension du phénomène à l'échelle de la planète, dans une perspective comparatiste, complique encore les choses. Un pauvre dans un pays du Nord est bien souvent riche si on rapporte ses revenus et ses conditions de vie à l'existence normale à laquelle peuvent prétendre nombre d'habitants des pays du Sud – et ce, malgré le développement récent de la Chine. La pauvreté fait l'objet de nombreuses mesures statistiques. Elle peut être considérée comme absolue : on retient alors une ligne de pauvreté. Cette mesure a été inventée par Charles Booth dans l'Angleterre de la fin du xixe siècle et prévaut dans les statistiques officielles aujourd'hui encore aux États-Unis. La pauvreté peut également être considérée comme relative : on mesure la pauvreté par l'écart avec le revenu médian. En Europe sont considérées comme pauvres les personnes qui vivent dans des ménages dont les revenus sont inférieurs à 60 p. 100 du revenu médian (le niveau qui sépare la population en deux). La pauvreté est ainsi mesurée, en Europe et en France, par un indicateur d'inégalité. Pour les pays du Sud, on retient des indicateurs de dénuement, comme le fait de disposer de moins de 1 ou 2 dollar(s) par jour pour vivre. La dimension monétaire de la pauvreté peut être complétée par d'autres indicateurs. Dans la perspective de l'économiste indien Amartya Sen (InequalityReexamined, 1991), ce sont non pas les moyens, mais les « capabilités » ou capacités à faire des choses qui doivent être prises en compte. On le voit, il ne saurait y avoir de définition de la pauvreté valant partout et toujours. Pour comprendre la pauvreté, il faut se poser la question du sens social de ces mesures et les rapporter aux sociétés qui les ont créées. C'est pourquoi une mise en perspective historique et sociologique de cette notion est essentielle. Même si l'immense majorité des pauvres vivent au Sud, nous nous concentrerons sur les développements ayant eu lieu dans les pays du Nord pour saisir la construction sociale et historique de cette notion et ses enjeux contemporains.

Genèse de la sociologie de la pauvreté

La pauvreté a sans doute constitué la condition de l'immense majorité de la population jusqu'à la révolution industrielle, la diffusion de biens et de soins de différentes sortes ayant occasionné également une révolution (permanente) des conditions matérielles de l'existence sociale. Cependant, la signification de la pauvreté reste, dans les pays occidentaux, profondément marquée par le christianisme. En effet, celui-ci repose sur une morale du retournement qui exalte la pauvreté comme une vertu. Le franciscanisme a symbolisé cet endossement de la pauvreté comme seule manière d'accéder au salut par la dépossession de ses biens. Plus profondément, la pauvreté, ainsi valorisée de manière très paradoxale, a été à l'origine d'un mode de gouvernement de la société, caractérisé à juste titre comme pastoral par Michel Foucault.

Les recherches historiques ont montré que, si la pauvreté volontaire pouvait être valorisée, les pauvres « réels » étaient quant à eux sujets à un traitement beaucoup plus ambivalent. Bronisław Geremek l’a montré, à partir de la manière dont les mendiants parisiens étaient traités dans une oscillation permanente et structurelle entre La Potence et la pitié(1987). Dans le monde de l'âge classique, la pauvreté reste sujette à une évaluation morale sinon positive, à tout le moins compassionnelle, mais à celle-ci s'adjoint un traitement plus punitif. La laïcisation des institutions[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en sociologie au Centre de recherche sur les liens sociaux, université de Paris-V-René-Descartes-Sorbonne

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Pour citer cet article

Nicolas DUVOUX. PAUVRETÉ SOCIOLOGIE DE LA [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

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Autres références

  • ANTHROPOLOGIE DES CULTURES URBAINES

    • Écrit par Virginie MILLIOT
    • 4 429 mots
    • 3 médias
    Aux États-Unis, la dégradation des quartiers noirs américains dans les années 1960 et 1970 a suscité un vif débat sur la détermination économique et/ou ethnique des cultures du ghetto. Les analyses qui, à la suite d’Oscar Lewis (1966), ont fait de la pauvreté et de la ségrégation le terreau de ces...
  • CLASSES SOCIALES - La théorie de la lutte de classes

    • Écrit par André AKOUN
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    Certes, ce n'est pas d'aujourd'hui que les hommes ont découvert qu'il y avait des riches et des pauvres. Ni que cette différence n'était pas sans effet sur la loi qui ordonne la communauté des hommes. Après tout, Aristote avait déjà souligné le rôle des riches dans l'établissement des pouvoirs oligarchiques...
  • GHETTO

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    ...habitants (chiffre de 1668), soit une densité de 1 500 habitants à l'hectare (on en recense 1 200 dans les bidonvilles nord-africains du xxe siècle). L'espace était inégalement réparti entre riches et pauvres, et des dépôts de marchandises en occupaient une portion notable. Les meilleures rues servaient...
  • PARIAS URBAINS. GHETTO, BANLIEUES, ÉTAT (L. Wacquant)

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    Dans Parias urbains. Ghetto, banlieues, État (traduit de l'anglais par Sébastien Chauvin, La Découverte, 2006), Loïc Wacquant se propose d'expliciter les mécanismes génériques et les formes spécifiques de la marginalité urbaine à travers une comparaison du ghetto noir américain et des banlieues...

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Voir aussi