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SLAVOPHILES

Important courant de pensée sociale et politique russe, entre les années 1840 et 1860, le mouvement des slavophiles naît d'une querelle historique avec les occidentalistes. Ce terme d'occidentalistes (à l'origine un sobriquet) est toujours couplé avec celui de slavophiles, mais tous deux sont arbitraires et déroutants. Car pas plus que les slavophiles n'étaient des réactionnaires bornés et rétrogrades, les occidentalistes n'étaient de « mauvais Russes », aveugles adorateurs des nations occidentales. Les uns et les autres aimaient profondément leur patrie, déploraient sa stagnation et son désordre, condamnaient sévèrement le servage. Leur éthique était la même, bien que les slavophiles fussent des schellingiens « romantiques », les occidentalistes, des hégéliens réalistes, mais leurs vues historiques différaient énormément. Le point de départ de la querelle, c'est la première Lettre philosophique, de Petr Iakovlevitch Tchaadaïev, « sombre réquisitoire contre la Russie », qui paraît en 1836, dans la revue Teleskop. Elle éclate, écrit Herzen, « comme un coup de feu dans la nuit », la nuit morale et intellectuelle qui est tombée sur la Russie après l'échec des décembristes. Pour Tchaadaïev, la Russie n'a pas de passé, elle n'a rien apporté aux autres nations, et elle n'aura un avenir que si elle se met à l'école de l'Occident et, de surcroît, que si elle renonce à sa religion « byzantine » et embrasse le catholicisme. Ces idées sont partagées, en grande partie par de jeunes intellectuels appartenant aux classes nobiliaires et bourgeoises : professeurs et publicistes, tels Biélinski, Granovski, Redkine, Herzen. Pour eux, l'Occident réalise les principes de liberté, d'humanité et de progrès ; la civilisation humaine est une. Alors se révolte un groupe d'hommes de lettres, de savants, d'hommes d'État, dont le représentant le plus ardent est Alexeï Stepanovitch Khomiakov. Les autres membres éminents du clan slavophile sont les frères Kireïevski, Ivan et Pierre, les frères Aksakov, Serge et Constantin, Iouri Samarine, Alexandre Kochélev, le prince Tcherkasski. Ils appartiennent à de vieilles familles de noblesse terrienne. Ils publient pour la première fois leurs idées en 1839, dans une série d'articles de Khomiakov : De l'ancien et du nouveau. Désormais, les disputes auront lieu au grand jour, dans les salons moscovites et dans les revues littéraires, chaque camp ayant la sienne pour le soutenir : Les Annales de la Patrie (OtetchestvennyeZapisski) pour les occidentalistes, Le Moscovite (Moskvitianin) pour les slavophiles. Les slavophiles admettent que tout va mal en Russie, mais tout cela est issu des réformes de Pierre le Grand : ce « transfigurateur » aberrant a placé la Russie sur une voie qui n'était pas la sienne. La civilisation universelle n'existe pas ; chaque nation a la sienne, fondée sur l'esprit national ; aucune culture ne peut être transplantée ; la Russie doit revenir aux temps d'avant Pierre. Le passé heureux des Russes était symbolisé par l'antique institution de la commune paysanne (obchtchina mir). La religion orthodoxe a déterminé tout le caractère du peuple russe, ses mœurs et ses coutumes ; elle est le soutien sûr et la raison d'être du tsar autocrate, seul chef capable de gouverner les Russes, dont il est le père et le symbole. Il doit, comme autrefois, convoquer de temps à autre une Assemblée nationale (ZemskiSobor), réunion des représentants de « toute la terre russe », mais la Russie n'a que faire d'une Constitution et d'un Parlement à la française ou à l'anglaise. La Russie a donc un passé, beau et glorieux, mais il s'arrête à Pierre Ier. Il était logique que les occidentalistes, dans leur vive polémique, reprochent aux slavophiles[...]

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Écrit par

  • : diplômée d'études supérieures d'histoire, écrivain

Classification

Pour citer cet article

Daria OLIVIER. SLAVOPHILES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AKSAKOV IVAN SERGUEÏEVITCH (1823-1886)

    • Écrit par Alexandre BOURMEYSTER
    • 142 mots

    Poète slavophile, fils de Sergueï, frère de Konstantin Aksakov. Après des études de droit, Ivan Aksakov est chargé de missions diverses ; il parcourt la Russie, s'occupe des sectes de vieux-croyants. Arrêté en 1849 pour activités slavophiles, puis libéré, il démissionne en 1852 — son...

  • AKSAKOV KONSTANTIN SERGUEÏEVITCH (1817-1860)

    • Écrit par Alexandre BOURMEYSTER
    • 241 mots

    Poète slavophile russe ; fils et frère d'écrivains ; son père, ami de Gogol, est l'auteur de la Chronique familiale. Élevé dans une chaude ambiance familiale, Konstantin Aksakov restera un « éternel adolescent ». Étudiant à Moscou, il entre dans le cercle de Stankevitch, se passionne...

  • BIÉLINSKI ou BELINSKI VISSARION GRIGORIEVITCH (1811-1848)

    • Écrit par José JOHANNET
    • 2 335 mots

    Les années 1830-1848 en Russie sont une période de réflexion, de fermentation intellectuelle. Les générations qui arrivent à la vie publique passeront par toutes les étapes de l'évolution spirituelle de l'Europe, du siècle des Lumières à Hegel et, pour certains, à Feuerbach et Marx. La société cultivée...

  • DOSTOÏEVSKI FIODOR MIKHAÏLOVITCH (1821-1881)

    • Écrit par Universalis, Pierre PASCAL
    • 5 000 mots
    • 1 média
    ...Saint-Pétersbourg. La mode est aux « grosses revues » littéraires et politiques. Elles agitent l'opinion : deux partis sont en présence, occidentalistes et slavophiles. L’écrivain est trop homme de progrès pour condamner comme ceux-ci les réformes de Pierre le Grand, et trop persuadé des mérites de son peuple...
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Voir aussi