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SCIENTIFIQUES ET LOBBIES INDUSTRIELS

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Les prises de position ambiguës concernant le réchauffement climatique et ses causes mettent particulièrement en lumière l'implication de certains scientifiques dans la formation d'une polémique essentiellement médiatique. Que des scientifiques isolés contestent publiquement une thèse faisant consensus chez leurs collègues n'est pas un phénomène récent, mais ce fait pose problème à plusieurs titres. D'abord, à cause des liens qu'entretiennent certains de ces scientifiques polémistes avec le monde industriel – une relation qui a été minutieusement retracée et analysée par deux historiens des sciences, Naomi Oreskes et Erik M. Conway, dans Les Marchands de doute. Ensuite, parce que ces controverses révèlent la complexité de la place de la science dans la société et les contradictions inhérentes à celle-ci.

Créer le doute scientifique

Tabac - crédits : Branislavpudar/ Shutterstock

Tabac

En 1953, la presse commence à publier des résumés alarmants de travaux de scientifiques qui démontrent les capacités cancérogènes du goudron contenu dans les cigarettes : cette substance provoque des cancers lorsqu'elle est étalée sur la peau des souris. Attaquée et déstabilisée, l'industrie du tabac décide d'organiser la riposte en faisant appel à Hill & Knowlton, une puissante société de relations publiques, un choix qui lui vaudra d'être sévèrement condamnée bien des années plus tard pour fraude délibérée. Quatre grandes compagnies, dont Philip Morris et Benson & Hedges, unissent leurs efforts pour créer le Comité de l'industrie du tabac pour la recherche. Cet organisme est chargé de faire douter de la véracité des conclusions démontrant les propriétés cancérogènes du tabac et de contester l'intégrité des scientifiques ayant conduit les travaux qui ont abouti à ces conclusions. Il ne s'agit pas simplement de demander de l'aide à des experts du marketing et de la publicité pour organiser des campagnes de communication ; ces industriels élaborent un plan sophistiqué dont la direction est confiée à des scientifiques et à des médecins souvent renommés. L'objectif est clair : financer des recherches pour démontrer la complexité des causes du cancer, puis inonder les médecins, les médias et les décideurs d'un matériel de propagande largement bâti sur ces travaux. Il s'agit de faire perdurer « le doute scientifique », suivant une expression utilisée alors par un des dirigeants de Hill & Knowlton, alors même que les compagnies sont convaincues des méfaits du tabac. En effet, il faut souligner que l'étude des archives des laboratoires des industries montre clairement que leurs équipes avaient également confirmé l'implication du tabac dans le développement de certains cancers.

Puis, au début des années 1960, les laboratoires des industries découvrent que la nicotine induit une dépendance : ce phénomène, qui ne sera démontré par d'autres laboratoires que bien plus tard, sera nié par les compagnies elles-mêmes durant des décennies.

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Écrit par

  • : docteur en sciences de l'environnement, historienne des sciences et de l'environnement, chercheuse associée au laboratoire SPHERE, CNRS, UMR 7219, université de Paris-VII-Denis-Diderot

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Valérie CHANSIGAUD. SCIENTIFIQUES ET LOBBIES INDUSTRIELS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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