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CASTEL ROBERT (1933-2013)

Le primat du social

C'est dans cette perspective que Robert Castel, dont la femme était psychiatre, ami de Franco Basaglia et investi dans le réseau « Alternative à la psychiatrie », écrit sa thèse, une généalogie du traitement social de la folie (L'Ordre psychiatrique, 1976), puis une analyse du modèle américain (La Société psychiatrique avancée, 1979), concluant ce cycle avec une étude charnière sur l'émergence d'une nouvelle technologie de gouvernance des populations « à risque », d'un ordre « post-disciplinaire » (La Gestion des risques, 1981). Il passera ainsi pour un des pères de la notion de contrôle social, bien qu'il n'ait jamais cédé ni à l'exaltation de la folie, ni à la stigmatisation des « psychiatres-flics », ni à la disqualification gauchiste du travail social.

Le choix, au début des années 1980, d'un nouveau domaine d'investigation – la question sociale – s'inscrit dans le droit fil du précédent en dépit de la rupture assumée avec la routine et les facilités du rôle d'« expert » : même ancrage biographique de l'intérêt pour « le mal à être », les populations marginales et les situations limites, même prédilection pour un domaine flou, aux contours incertains et peu fréquenté – le social –, même démarche socio-historique qui reconstitue Les Métamorphoses de la question sociale (1995) – du vagabondage au paupérisme, du paupérisme à l'exclusion –, la genèse, la consolidation puis l'effritement de la « société salariale ». Robert Castel suggère qu'on peut y voir une métaphore de sa vision de la vie, mais sa monumentale histoire du salariat (de 1349 à l'aube du xxie siècle) n'est évidemment pas réductible à une autobiographie déguisée.

L'ébauche qu'il propose d'une sociologie de l'individu – par défaut ou par excès – s'inscrit dans la continuité de sa rupture avec le subjectivisme et la psychanalyse : c'est aux « supports » de toutes sortes de l'individu qu'il s'intéresse, à la dialectique de l'intégration et de la désaffiliation (Propriété privée, propriété de soi, propriété sociale, 2001). Ils prolongent, par ailleurs, les interrogations ébauchées à la fin des Métamorphoses sur l'avenir de « la société salariale » : la montée des discriminations raciales (La Discrimination négative, 2007) et celle de « l'insécurité sociale » (L'Insécurité sociale, 2003, et La Montée des incertitudes, 2009).

Au fil d'un itinéraire jalonné d'œuvres majeures, on peut ainsi repérer une même stratégie de recherche – cerner la norme depuis les marges (de la folie à la normalité, du vagabond désaffilié au salarié protégé) – et la pérennité d'un style très personnel de sociologie critique. Républicain, sinon jacobin, durkheimien, sinon marxisant, à distance des jeux et des enjeux académiques, convaincu que le conflit est le moteur de l'histoire mais trop profondément pacifiste pour ne pas chercher le consensus, défenseur de l'État social, Robert Castel apparaît comme une figure centrale du réformisme de gauche : centrale pour la pensée réformiste, centrale pour la pensée de gauche, centrale pour la pensée tout court.

— Gérard MAUGER

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Classification

Pour citer cet article

Gérard MAUGER. CASTEL ROBERT (1933-2013) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SOCIOLOGIE HISTORIQUE

    • Écrit par Laurent WILLEMEZ
    • 3 039 mots
    • 5 médias
    ...évidente, a été l'objet d'une institutionnalisation qui fait d'elle l'outil privilégié de production et de reproduction de l'ordre social. Enfin, les travaux de Robert Castel sur le traitement de la vulnérabilité sociale depuis le Moyen Âge jusqu'à nos jours, publiés dans Les Métamorphoses...