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PRESSE DU CŒUR ou PRESSE SENTIMENTALE

De la presse du cœur à la presse « people »

Dès le milieu des années 1950, les tirages baissent. La presse du cœur perd un tiers de son lectorat de 1955 à 1964. Plusieurs raisons expliquent ce déclin. La société rajeunit et les moins de vingt ans portent de nouvelles valeurs qui ne s’incarnent pas dans cette presse trop stéréotypée. La classe moyenne s’élargit ; plus instruite, elle renouvelle ses aspirations. Les nouveaux médias se généralisent, la radio est déjà présente dans tous les foyers et la télévision s’y installe peu à peu. Le roman-photo est victime du succès des séries de fiction à la télévision.

Au-delà de ces facteurs externes, cette presse a été en permanence placée sous le feu des critiques. Depuis la fin de la guerre, la presse du cœur est au centre d’une bataille morale qui concerne la défense de la culture lettrée face à l’invasion de la culture de masse. La démocratisation culturelle et l’éducation élargie au plus grand nombre sont une des ambitions affirmées de la Libération. Les intellectuels, les éducateurs, les créateurs, les politiques et les journalistes se montrent donc très critiques sur ces publications. En 1958, Dimanche-Éclair de Nancy résume ainsi la polémique : « Peut-on sans danger se laisser prendre au mirage de la presse du cœur ? Est-elle une distraction inoffensive ou bien, au contraire, un pernicieux narcotique ? » Les effets de ces lectures inquiètent : l’ouvrière peut-elle résister à ces rêves de papier ? Ne devrait-elle pas accéder à des lectures plus enrichissantes ? Quels sont les dangers des cultures du divertissement ? Dès les années 1930, la propagande fasciste avait montré l’usage qui pouvait être fait des médias. Cette dénonciation de la culture de masse atteint son apogée à la fin des années 1960. La protection des jeunes, des femmes et des classes populaires face à l’aliénation mentale supposée engendrée par ces lectures dangereuses est une mission de salut public. Ces catégories de population, moins formées, sont considérées comme fragiles et malléables. Leur accès à l’information et à la culture doit être balisé. Différentes associations et groupements politiques, religieux et éducatifs souhaiteraient même voir disparaître ce genre de publications et militent pour une législation qui aille dans ce sens. Ils veulent qu’une réglementation identique à la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse encadre la presse du cœur et des faits divers. Ce lobbying n’aboutira pas. Si l’État peut contrôler les lectures des mineurs, il ne peut censurer celle des adultes. Les propriétaires de la presse du cœur plaident leur cause. Cino Del Duca, notamment, se défend régulièrement devant ces critiques. Le 10 octobre 1952, dans LÉcho de la presse et de la publicité, il écrit : « Je pervertis la morale publique ? Il n’y a pas un assassinat dans mes publications, pas une jupe relevée, pas de vamp, ni de gangster. Pas un méchant qui ne soit puni, pas de vertu sans récompense. »

La critique des médias populaires est une constante. Elle se renouvelle d’ailleurs avec toutes les formes de divertissement : la bande dessinée, le roman policier, le jeu vidéo, la presse people, la téléréalité… Ainsi la presse du cœur est victime de cette mise à l’écart. Elle l’est doublement car, pour ne pas risquer de s’attirer plus de remontrances, ces magazines n'ont pas suivi les nouvelles aspirations féminines. Les publications sentimentales sont devenues désuètes et conservatrices. Symbole de la lecture populaire des années 1950, la presse du cœur peine à exprimer la modernité des années 1960. Elle n’accompagne pas la libération de la femme, les aspirations de la jeunesse et les mouvements de transformations sociales. Pour échapper à cette stigmatisation, le principal éditeur de la presse du cœur, Cino Del Duca,[...]

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Écrit par

  • : docteure en histoire culturelle, conservatrice en bibliothèque, responsable de formations et enseignante au Pôle Métiers du livre de l'université Paris-ouest-Nanterre-La Défense

Pour citer cet article

Isabelle ANTONUTTI. PRESSE DU CŒUR ou PRESSE SENTIMENTALE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

La presse du cœur : <it>Nous deux</it> - crédits : D.R.

La presse du cœur : Nous deux

La presse du cœur : <it>Intimita</it> - crédits : D.R.

La presse du cœur : Intimita

La presse « people » - crédits : G. Mouly-Héras

La presse « people »

Voir aussi