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PRÉDICATIVISME, mathématique

Doctrine selon laquelle certaines définitions naïvement reçues de la logique ou des mathématiques classiques recèlent une certaine sorte de circularité qu'on retrouve à l'origine de tous les grands paradoxes et qui, même quand elle n'y conduit pas, devrait être interdite. Le principe de cette interdiction est le « principe du cercle vicieux » (PCV), qui dit, grosso modo, qu'un objet ne peut être défini dans les termes d'une multiplicité d'objets parmi lesquels il se trouve.

L'idée du PCV fut lancée pour la première fois par Henri Poincaré (1854-1912) en réaction à un paradoxe découvert par Jules Richard (1862-1956) en 1905. Celui-ci avait considéré l'ensemble E des nombres qui peuvent être définis en un nombre fini de mots, et avait apparemment réussi à définir un certain nombre N qui, de par sa définition même, différait de chacun des éléments de E et donc n'appartenait pas à E, et qui, cependant, étant défini en un nombre fini de mots, appartenait à E. En 1906, Poincaré remarqua que, dans sa définition de l'élément N de E, Richard avait mobilisé la notion de l'ensemble E, et il résolut ainsi le paradoxe : la prétendue définition de N contenait un cercle vicieux, ce n'était pas une véritable définition. La même explication valait, selon Poincaré, pour tous les grands paradoxes.

De son côté, Bertrand Russell (1872-1970) cherchait pour le fameux paradoxe relatif aux classes (autrement dit aux ensembles) qu'il avait découvert en 1901 une solution de portée générale. Ce paradoxe montrait que la propriété d'être une classe qui n'est pas membre d'elle-même ne définissait pas de classe, ou, dans la terminologie de Russell, que ladite propriété n'était pas « prédicative ». La question était alors de faire le départ entre les propriétés, ou définitions, qui étaient prédicatives et celles qui ne l'étaient pas. Lorsqu'il prit connaissance de l'idée de Poincaré, il l'adopta immédiatement, tout en disant y trouver confirmation de ses propres idées : les définitions prédicatives n'étaient autres que celles qui satisfaisaient au PCV. Par un curieux glissement sémantique, le sens originel de la « prédicativité » tomba bientôt dans l'oubli, et, la thèse de Poincaré étant prise pour définition, le terme signifia désormais l'absence de cercle vicieux.

Pour Poincaré, digne successeur de Descartes (1596-1650) pour le mépris de la logique formelle, tout était dit, il n'y avait plus qu'à faire preuve de vigilance. Pour Russell, au contraire, la logique, et avec elle les mathématiques, qui n'en étaient que le prolongement, devaient être reconstruites en faisant systématiquement droit au nouveau principe plus précisément formulé. Les règles gouvernant l'usage des connecteurs, des quantificateurs, et de l'identité pouvaient rester les mêmes, c'est la théorie des classes et relations et autres entités supra-individuelles qui devait changer. La nouvelle logique prit finalement la forme d'une « théorie des types », où les entités supra-individuelles (réduites en fait aux seules fonctions propositionnelles) étaient disposées, chacune selon son « type », en une hiérarchie assez subtile pour satisfaire aux exigences de départ. Esquissée dans un article paru en 1908, la théorie fut développée par Russell, en collaboration avec Alfred North Whitehead (1861-1947), dans l'ouvrage monumental Principia Mathematica (3 vol., 1910-1913), et rétrospectivement connue sous le nom de « théorie des types ramifiée ».

L'exigence de prédicativité pesait lourdement sur l'entreprise de reconstruction des mathématiques, et Whitehead et Russell durent, pour parvenir à leurs fins, admettre un axiome ad hoc, qui permettait de contourner cette exigence, l'axiome de réductibilité[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., membre de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques

Classification

Pour citer cet article

Philippe de ROUILHAN. PRÉDICATIVISME, mathématique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONCEPTUALISME, philosophie

    • Écrit par Joseph VIDAL-ROSSET
    • 1 329 mots
    On dira quelques mots pour finir sur le prédicativisme. Celui-ci a son origine dans les efforts de Russell pour résoudre les paradoxes de la théorie naïve des ensembles (la théorie simple des types étant une des premières solutions). Le prédicativisme relève d'une position constructiviste en mathématiques...
  • CONSTRUCTIVISME, mathématique

    • Écrit par Jacques-Paul DUBUCS
    • 1 372 mots
    – le prédicativisme d'Henri Poincaré (1854-1912), qui plaide pour l'abandon des définitions « imprédicatives » où un objet est défini par référence à une collection à laquelle il appartient lui-même (si l'on cherche à construire la collection en question en introduisant successivement les objets...

Voir aussi