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POLICE SOUS LA IIIè RÉPUBLIQUE

Le concept d'une police de renseignement général

La notion même de police politique peut paraître incongrue dans un régime fondé sur le suffrage universel et les libertés publiques. Néanmoins, l'héritage napoléonien est assumé sans grand état d'âme, même par la gauche quand elle se trouve aux affaires. La justification la plus généralement invoquée est la nécessité de donner aux gouvernements républicains les armes nécessaires à la défense d'un régime fragilisé par les libertés qu'il accorde à ses adversaires qui ne renonceront jamais à le renverser. Mais cette pérennisation s'accompagne d'une réflexion sur la nature, les pratiques et les missions d'une police politique républicaine qui, par essence, ne peut qu'être différente des polices des régimes autoritaires qui l'ont précédée. Le résultat est l'abandon – lent, difficile – de ce que Fouché appelait une « police d'attaque » au profit d'une police de « renseignement général ». Cette expression, qu'on doit à Célestin Hennion, un policier devenu directeur de la Sûreté générale en 1907, apparaît cette même année pour désigner une brigade dédiée à ces missions de surveillance assurées par ailleurs – depuis la conquête des pouvoirs par les républicains en 1879 – par une « police spéciale des chemins de fer » dont la dénomination n'explicite pas réellement les missions (elle deviendra « police spéciale » en 1911). En 1913, la réorganisation de la préfecture de police, mise en œuvre par Célestin Hennion qui vient de succéder au préfet Lépine, crée une direction des Renseignements généraux et des jeux, officialisant ainsi une expression qui va faire florès et qu'adoptera à son tour la Sûreté nationale en 1937.

Alors que courent les fantasmes les plus extravagants sur une police omnisciente et ubiquiste supposée surveiller tout et chacun, ce concept de police de surveillance et d'observation, sans missions ni pouvoirs répressifs, qui n'use pas de la provocation, constitue une révolution culturelle majeure. Il n'en demeure pas moins, tant les mythes ont la vie dure, que la police politique de la IIIe République est – et restera – l'objet de délires et de soupçons qui prennent leur source dans quelques affaires obscures dans lesquelles certains ont affirmé reconnaître la main de « l'aile marchante, ou tueuse, de la maçonnerie ». Mais si les groupes et partis hostiles à la République dénoncent – avec sans doute plus de naïveté que de mauvaise foi – les « crimes » et basses manœuvres d'une « police politique », leurs agissements et la liberté dont ils jouissent – jusque dans l'appel à l'émeute et à la subversion du régime, voire à l'assassinat de ses dirigeants – prouvent à eux seuls l'absurdité des pouvoirs dont on affuble ces services, pour ne rien dire des crimes dont on les accuse. Pour autant, on se gardera de tomber dans un angélisme béat. Les services politiques de la IIIe République existent bel et bien. Leurs policiers sont des professionnels compétents et ont acquis une fine connaissance des groupes et partis les plus menaçants pour le régime : c'est, entre autres, cette efficacité – qui a permis de mettre au jour l'action des « rabcors » communistes (correspondants ouvriers) dans le domaine de l'espionnage industriel au profit de Moscou, puis la tentative de coup d'État de la Cagoule – qui explique la haine indéfectible dont les poursuivent les extrêmes.

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Jean-Marc BERLIÈRE. POLICE SOUS LA IIIè RÉPUBLIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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