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RONSARD PIERRE DE (1524-1585)

La création subjuguée par la poésie

S'il avait pu prévoir ce commentaire tardif, Ronsard y aurait vu la confirmation de la théorie néo-platonicienne des fureurs telle qu'il la résumait dans l'Ode à Michel de l'Hospital, l'année même où son ami Pontus de Tyard la développait dans le Solitaire premier (1552). La fureur poétique passe des Muses au poète et du poète au lecteur, à la manière des forces de l'aimant :

   Comme l'aimant sa force inspire   Au fer qui le touche de près,   Puis soudain ce fer tiré, tire   Un autre qui en tire après...

Les Muses ne sont pas seules en cause : elles ne sont que le premier stade dans la série des quatre fureurs. Elles savent rétablir, au niveau de la Nature, l'harmonie dans le chaos, mais elles peuvent, de là, vous conduire jusqu'à la fureur dionysiaque, placée sous l'égide du dieu des mystères et des initiations, qui, à son tour, peut vous hausser jusqu'à la fureur prophétique sous le signe d'Apollon, puis jusqu'à la fureur vénusienne qui restaure l'entendement angélique, perdu dès la naissance par l'internement des âmes dans des corps :

  Donne-nous encore la puissance  D'arracher les âmes dehors  Le sale bourbier de leurs corps  Pour les rejoindre à leur naissance.

Ronsard n'est certes pas un philosophe, mais il a été formé par des cercles humanistes qui lui ont donné, à défaut d'un corps de doctrine, un certain nombre de jalons de l'univers mental des néo-platoniciens. Entre la théologie judéo-chrétienne et la religion des Anciens, il n'y a, pour eux, que des différences de formulation et des malentendus historiques. Ronsard ne fait que se conformer à une tradition déjà ancienne et systématisée par Marsile Ficin quand il déclare dans l'Abbrégé de l'Art poétique françois de 1565 : « Les Muses, Apollon, Mercure, Pallas, Vénus et autres telles déités ne nous représentent autre chose que les puissances de Dieu, auquel les premiers hommes avaient donné plusieurs noms pour les divers effets de son incompréhensible majesté. » La mythologie fait ainsi figure de système de représentation complémentaire qui rend possible une vision plus large des dimensions cosmiques de la pensée religieuse.

Posé sur le champ magnétique des « fureurs », le poète se sent donc au carrefour du visible et de l'invisible, soustrait aux limitations de l'espace et du temps. Chacune de ses joies et de ses frayeurs se répercute jusqu'aux extrémités du cosmos. L'amour lui-même est un élan biologique commun à la végétation, aux êtres et aux astres, chaque nuance du désir dans les Amours se trouve un équivalent dans les forces de germination de la Nature, de même que dans les Hymnes (1555) le déroulement des saisons a une double portée, cosmique et érotique.

C'est peut-être là que Ronsard se situe le plus loin de Pétrarque, même quand il croit l'imiter. Chez l'un comme chez l'autre, la Nature joue un rôle important, mais, alors que le poète médiéval regarde la Nature à travers Laure, qui reste distincte d'elle comme la vierge Marie au milieu d'un décor d'étoiles, la Nature de Ronsard absorbe avidement les femmes successives dont les pâles silhouettes se retrouvent sous le vocable de Cassandre, de même que les pulsions de l'érotisme du poète se confondent avec les forces élémentaires, avec le vent, la germination, le soleil et la foudre.

Or' que Jupin époint de sa semence Hume à longs traits les feux accoutumés, Et que du chaud de ses reins allumés L'humide sein de Junon ensemence, Or' que la mer, or' que la véhémence Des vents fait place aux grands vaisseaux armés, Et que l'oiseau parmi les bois ramés Du Thracien les tançons recommence...

Ici l'attaque brutalement érotique d'un début[...]

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Écrit par

  • : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen

Classification

Pour citer cet article

Gilbert GADOFFRE. RONSARD PIERRE DE (1524-1585) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LES AMOURS, Pierre de Ronsard - Fiche de lecture

    • Écrit par Yvonne BELLENGER
    • 884 mots

    Le titre Les Amours désigne chez Ronsard une série de publications qui vont de ses débuts littéraires à la fin de sa vie. Célébrant Cassandre, Marie, puis Hélène, il invente un lyrisme qui renouvelle la poésie amoureuse.

  • BELLAY JOACHIM DU (1522-1560)

    • Écrit par Gilbert GADOFFRE
    • 3 517 mots
    ...limiter au statut de brillant second. Et, pourtant, ce n'est pas sans raison que l'ordre des armées distingue habituellement le chef et le porte-drapeau. Au milieu de la « Brigade » que Ronsard a mise sur orbite, il n'y a qu'un seul chef, Ronsard lui-même, qui s'impose par sa puissance créatrice, l'abondance...
  • BELLEAU RÉMY ou REMI (1528-1577)

    • Écrit par Hubert HARDT
    • 436 mots

    Poète français appartenant à la Pléiade. Né à Nogent-le-Rotrou dans un site champêtre, Rémy Belleau vint à Paris comme précepteur de Charles de Lorraine et résida jusqu'à sa mort en l'hôtel de Guise. Intelligent sans surcharge d'érudition, il était avant tout « un homme qui plaisait ». Il fut...

  • BLASON, littérature

    • Écrit par Nicole QUENTIN-MAURER
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    Courant dès le xiie siècle, le terme de blason s'emploie à l'origine avec la signification de : discours, conversation, description, explication, propos. Vers la fin du xve siècle, c'est aussi une sorte de poésie, qui décrit minutieusement, sur le mode de l'éloge ou de la ...

  • CERTON PIERRE (mort en 1572)

    • Écrit par Pierre-Paul LACAS
    • 364 mots

    Éminent musicien de l'école parisienne du xvie siècle, surtout célèbre par ses chansons courtoises polyphoniques. Il vécut surtout à Paris, d'abord comme clerc des matines (clericus matutinorum) à Notre-Dame (1529), chantre à la Sainte-Chapelle (1532), où il devient maître des...

  • Afficher les 13 références

Voir aussi