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PAUL KLEE. L'IRONIE À L'OEUVRE (exposition)

Des questions en suspens

Le catalogue aborde, sans les épuiser, tout un ensemble de problématiques rattachées tant bien que mal au thème central. Si l’index de rigueur et plusieurs références bibliographiques importantes font défaut, il fournit une abondante iconographie de qualité et reste efficace, pour qui veut s’initier. Et l’on appréciera que les articles « de fond » placés en tête de chapitres s’accompagnent de commentaires plus ponctuels. L’ouvrage n’en ouvre pas moins à la discussion sur de nombreux points.

Contestable, la référence itérative au cubisme reprend un topos de l’historiographie française. Or, après s’être référé à Van Gogh comme une bonne partie de l’Europe avant-gardiste, c’est vers Cézanne que Klee se tourne délibérément dès 1909. Il n’est que de lire son Journal et de regarder. Ainsi, en 1913, Im Steinbruch (Dans la carrière) parachève la démonstration, depuis les détails élémentaires de structure, de couleur (la fameuse « modulation »)… jusqu’au titre allusif, où l’on retrouve les carrières de Bibémuschères à Cézanne. On devait repartir de là. Quant à l’Hommage à Picasso (1914), il marque une révérence plus que douteuse à l’égard du dédicataire.

Et le chromatisme ! Car c’est sa visite à Robert Delaunay, le coloriste plus que le cubiste, qui déclenche, dès 1912, la reconversion de Klee. Avant, donc, qu’il n’en constate lui-même le plein effet lors de son voyage en Tunisie, au soir du 16 avril 1914, dans les rues de Kairouan, rapportant sa ferveur avec lyrisme : « Je suis peintre ! » On s’étonnera donc que cette dimension-là, tout comme celle, connexe, du « point gris », ne soit pas abordée au fond : elle est pourtant axiale dans la pratique de Klee, comme dans sa théorie, structurellement liée au disegno. Bien mieux que l’ironie, elle aurait pu constituer le motif central de l’exposition.

Bien d’autres questions capitales restent en suspens, qui exigeaient un développement en conséquence. Elles concernent entre autres la syntagmatique mixte icône/écrit (c’est ici que le cubisme et le futurisme étaient de mise), le jeu des mots, l’arborescence, le caractère projectif des représentations et la sexualité : « Klee connaissait-il Freud ? » était, de ce point de vue, une question à la fois naïve et téléologique. En revanche, réserver un sort particulier à Angelusnovus (1920) appelait à une relecture critique de la glose de Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, qui lui accorde une place centrale. Une véritable appropriation qui, à elle seule, aura forgé l’aura de cette aquarelle devenue ainsi fameuse.

En guise de point d’orgue, on retiendra cette formule de Pierre-Henri Gonthier : « À qui prend de l’œuvre théorique de Klee une connaissance en profondeur, la conviction s’impose bientôt qu’elle revêt pour l’art du xxe siècle la même importance que les Carnets de Léonard de Vinci pour celui de la Renaissance. » Un tel avis peut assurément s’extrapoler, appliqué à l’ensemble des travaux de Paul Klee, artiste « un peu plus proche que de coutume du cœur de la création ».

— Claude FRONTISI

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Écrit par

  • : professeur émérite des Universités, président du centre de recherche Pierre-Francastel

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Pour citer cet article

Claude FRONTISI. PAUL KLEE. L'IRONIE À L'OEUVRE (exposition) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Rayé de la liste</em>, P. Klee - crédits : AKG-images

Rayé de la liste, P. Klee

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