PAIEMENTS ÉLECTRONIQUES ET CRYPTOACTIFS
Dans les économies contemporaines, la monnaie est essentiellement détenue sous forme scripturale dans les comptes de dépôt gérés par les banques, et sous forme fiduciaire. Le terme fiduciaire indique que les pièces et les billets en circulation dans l’économie n’ont aucune valeur intrinsèque sur le marché des produits. Leur valeur est gagée sur la confiance des agents en leur système monétaire. Les pièces et les billets constituent de la monnaie centrale ; il s’agit en effet de créances sur une Banque centrale, qui garantit leur valeur. Une monnaie centrale (comme l’euro) a cours légal, ce qui implique que personne ne peut la refuser en paiement au sein de sa zone monétaire. Les sommes inscrites sur les comptes des banques constituent de la monnaie commerciale. Les banques la créent en créditant les comptes de leurs clients quand elles leur accordent un crédit ou en échange de la remise de billets.
La monnaie sert à la fois d’unité de compte, de réserve de valeur et d’instrument de paiement. Selon l’article L311-3 du Code monétaire et financier, les moyens de paiement sont des instruments qui permettent aux agents économiques de transférer des fonds, quel que soit le support ou le procédé technique utilisé. Le développement des technologies du numérique a changé la façon dont les agents détiennent et échangent de la monnaie. En effet, les innovations technologiques en matière d’échanges de données électroniques et de stockage d’informations sous format digital ont rendu possible l’émergence d’une offre et d’une demande de services permettant de stocker de la monnaie sur différents supports électroniques et de payer avec de nouveaux moyens de paiement.
La notion de monnaie électronique fait référence à une méthode de stockage particulière de la monnaie commerciale sous format électronique : sur une carte prépayée, sur un ordinateur, sur un porte-monnaie électronique, etc. Elle est émise contre une remise de fonds.
Les moyens de paiement électroniques correspondent aux méthodes numériques permettant de transférer de la monnaie commerciale par l’intermédiaire de messages électroniques circulant dans des réseaux de communication (comme Internet, les réseaux de téléphonie ou des réseaux privatifs interbancaires par exemple).
Les dispositifs d’enregistrement des transactions de paiement électronique sont des technologies permettant de mémoriser les transferts de fonds intervenant sous format numérique. Les paiements électroniques peuvent être enregistrés soit sur un registre tenu par un intermédiaire financier, une banque le plus souvent, soit grâce à une technologie de registres distribués (TRD) comme les « chaînes de blocs » ou blockchains. Dans ce dernier cas, la mise à jour du registre fonctionne grâce à un accord entre plusieurs participants au système de paiement selon des règles prédéfinies. Le registre est dit distribué, car il existe des copies des transactions de paiement accessibles à tous les participants. Une blockchain constitue une catégorie particulière de TRD, dans laquelle les transactions de paiement sont groupées dans des blocs qui sont validés régulièrement, selon un mécanisme défini par un protocole informatique.
Certains pays (comme le Nigeria et les Bahamas) proposent des monnaies numériques de Banque centrale (MNBC). Il s’agit de monnaies centrales numériques disponibles sous forme dématérialisée. L’Eurosystème, qui regroupe la Banque centrale européenne et les Banques centrales des pays de la zone euro, étudie la possibilité d’émettre une MNBC. Deux formes de MNBC peuvent être envisagées. Une première possibilité consiste à émettre une MNBC pour faciliter les paiements de gros entre intermédiaires financiers et Banque centrale. Une seconde possibilité (comme en Chine) consiste à émettre une MNBC accessible au grand public. Les agents pourraient ainsi détenir leur MNBC soit sur un compte ouvert à la Banque centrale, soit sur un support spécifique dédié comme une carte de paiement. Une monnaie numérique de Banque centrale ne rentre pas dans la catégorie des monnaies électroniques (c’est une monnaie centrale, et non commerciale).
Enfin, les cryptoactifséchangés sur des registres décentralisés (de type blockchain) ne sont créés ni par une Banque centrale ni par les banques, mais selon des règles définies dans un protocole informatique. Les paiements électroniques en cryptoactifs peuvent être réalisés sur une blockchain sans l’intervention d’un intermédiaire financier. Nous préférons la terminologie de cryptoactifs, recommandée par l’Autorité des marchés financiers, à celle de cryptomonnaies, car, s’ils sont bien échangés (sous forme dématérialisée ou virtuelle), les cryptoactifs ne peuvent être strictement qualifiés de monnaie en raison de l’absence de régulation par une Banque centrale.
Après avoir présenté l’offre de services de paiement électroniques, en premier lieu celle des intermédiaires financiers autorisés à réaliser des transferts de monnaie, puis celle de nouveaux acteurs souvent appelés « fintechs », nous décrirons le marché des cryptoactifs et celui des stablecoins, sur lesquels opèrent d’autres intermédiaires. Enfin, nous présenterons les facteurs influençant la demande des consommateurs pour les services de paiement électronique : les effets de réseau, la sécurité, la tarification des transactions.
Les intermédiaires proposant des moyens de paiement électroniques
Dans chaque pays ou juridiction, il existe un cadre réglementaire définissant quelles entités sont habilitées à offrir des services de tenue de comptes de dépôt et de transfert de monnaie. Dans la plupart des pays, il s’agit essentiellement des banques, et de certains intermédiaires financiers agréés par les autorités publiques.
Les banques sont habilitées par leur statut à offrir des services de paiement électroniques (par carte bancaire, par téléphone mobile…). En France, elles disposent du statut d’établissement de crédit obtenu par agrément auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Les banques possèdent un avantage concurrentiel lié à leur rôle privilégié dans le circuit d’émission de la monnaie ainsi qu’à leur expertise en matière de gestion des risques financiers (risque opérationnel, risque de liquidité, risque de contrepartie). Les principaux moyens de paiement électroniques (cartes bancaires, virements, prélèvements, paiements par mobile) sont ainsi proposés par les banques dans le cadre de réseaux ou de systèmes « interbancaires ». Ils permettent de transférer de la monnaie d’un compte de dépôt à un autre. La logique de ces dispositifs de paiement est celle de la monnaie scripturale qui désigne les soldes créditeurs des agents non financiers, disponibles à vue et donc immédiatement transférables. Cette forme de monnaie est traditionnellement utilisable par chèque, virement et carte bancaire. L’intermédiaire doit pouvoir à tout moment assurer la conversion du dépôt en monnaie fiduciaire (liquidité). Le risque d’illiquidité désigne la probabilité qu’un intermédiaire soit dans l’incapacité de convertir la monnaie scripturale de ses déposants en monnaie fiduciaire lorsque ces derniers en font la demande. La présence d’un risque d’illiquidité nécessite la mise en place de règles de supervision des activités des acteurs proposant des services de paiement (les règles prudentielles).
Les banques ont construit des réseaux de paiement électroniques interbancaires dont l’architecture est compatible avec les règles prudentielles auxquelles elles sont assujetties. En effet, ces dernières sont soumises à des contraintes (en matière de solvabilité, de gestion du risque d’illiquidité, de diversification des risques, etc.) en raison de leur fonction de gestion des comptes de dépôt et de leur rôle névralgique dans les systèmes financiers des économies de marché. Dans la plupart des économies des pays développés, les dépôts bancaires bénéficient de l’assurance des dépôts, fonds de garantie permettant l’indemnisation des déposants en cas de faillite de leur établissement bancaire. Dans ce contexte, la sécurisation des transactions de paiement fait partie intégrante du dispositif de gestion des risques mis en place par les acteurs du secteur bancaire pour répondre aux exigences des autorités de régulation.
Selon la définition proposée par le Comité de Bâle en 1998, les réseaux de paiement interbancaires sont dits « fermés » parce que leurs membres ont défini des règles communes d’adhésion au système et de gestion des risques relatifs aux transactions. Les acteurs financiers doivent les respecter pour se raccorder au réseau. Cette harmonisation répond principalement à un objectif d’efficacité et de sécurité. En proposant des services de qualité harmonisée (en matière de sécurité ou de délai d’exécution des transactions), les banques peuvent s’assurer du développement de la confiance de leurs clients dans les moyens de paiement électroniques, essentielle à la réalisation d’échanges monétaires.
Le degré d’ouverture des systèmes de paiement évolue régulièrement pour tenir compte de l’évolution technique et de l’entrée de nouveaux acteurs des technologies financières, les fintechs. En Europe, il n’est plus indispensable d’avoir le statut de banque pour proposer des services de paiement. La directive de l’Union européenne (UE) 2015/2366/CE, entrée en vigueur en 2018 (DSP 2), distingue trois types d’opérateurs habilités à proposer des services de paiement en Europe : les banques ; les établissements de monnaie électronique (EME) ; les prestataires de services de paiement (PSP). En France, tous ces établissements ont l’obligation réglementaire de s’enregistrer auprès de l’ACPR. Les PSP ne sont pas autorisés à émettre de la monnaie électronique, qui est émise contre la remise de fonds. Parmi les PSP, il convient de distinguer les PSP gestionnaires de comptes administrant les dépôts des clients (PSPGC) des tiers prestataires de services de paiement qui accèdent aux comptes des clients (TPP). Ces derniers peuvent opérer sous le statut de prestataire de services d’information sur les comptes (PSIC) pour fournir des services d’agrégation d’information (par exemple, Linxo ou Bankin’) ou de prestataire de services d’initiation de paiement (PSIP) pour proposer de nouveaux services facilitant des transactions (par exemple, SlimPay ou Sofort). Ces acteurs sont soumis à des contraintes réglementaires plus légères que les banques en matière de capital minimal à l’entrée et de fonds propres, mais ont l’obligation de mettre en place un dispositif de gestion des risques et de lutte contre la fraude. L’Autorité bancaire européenne (ABE) a apporté en 2018 des précisions relatives aux exigences de sécurité applicables aux acteurs non régulés développant des interfaces de programmation d’application (API, pour application programming interface) qui permettent aux consommateurs de se connecter à leurs comptes bancaires ou à leurs applications de paiement. Ces prestataires doivent bénéficier d’une autorisation préalable et d’une assurance responsabilité civile spécifique. Ils doivent par ailleurs respecter des procédures définies par le législateur pour que les communications soient sécurisées.
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Écrit par
- Marianne VERDIER : professeure d'économie à l'université de Paris-II-Panthéon-Assas
Classification
Médias
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