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OMBRES ET LUMIÈRES (M. Baxandall)

De Michael Baxandall, éminent historien de l'art américain, deux ouvrages étaient jusqu'à présent disponibles en français : L'Œil du Quattrocento (Gallimard, Paris, 1985), une étude sur la Renaissance italienne qui mêle histoire de l'art et histoire sociale, et Formes de l'intention (Chambon, Paris, 1991), qui propose une approche plus théorique des questions esthétiques. Dans Ombres et lumières, troisième de ses publications à paraître en français (Gallimard, Paris, 1999), Baxandall s'est attaché à un sujet auquel peu d'historiens de l'art ont consacré leurs efforts, à quelques exceptions près, notamment celle de Ernst Hans Gombrich : il s'agit du thème de l'ombre (ombre portée, ombre attachée, ombrage) tel qu'il a été traité non seulement par les théoriciens et les spécialistes de la peinture, mais aussi par les philosophes et les scientifiques. L'ouvrage de Baxandall propose un résumé des débats sur l'ombre et des positions défendues, en particulier au xviiie siècle, permettant ainsi de prendre conscience du rôle joué par l'ombre dans la constitution de l'esthétique occidentale. L'auteur termine d'ailleurs son étude en évoquant un tableau de Chardin, Le Jeune Dessinateur, qui représente un jeune homme assis sur le sol avec un carton à dessin posé sur les genoux, et, accrochée au mur, l'œuvre qu'il copie. L'historien remarque que cet apprenti artiste dessine par ombrages et que sa composition est hantée par la question de l'ombre (et de l'ombre portée en particulier). Façon allégorique pour Baxandall de souligner l'intérêt historique majeur de son thème.

Si l'ombre a intéressé de manière privilégiée philosophes et artistes, c'est d'abord parce qu'elle représente dans ses différentes variations un certain état de la lumière ou de son absence. L'étudier, c'est se livrer à une réflexion sur la peinture et le dessin, mais aussi sur les conditions de la perception et sur les états de conscience, d'attention ou de vigilance du sujet qui perçoit. La philosophie des Lumières s'est attachée presque systématiquement aux conditions de la perception. Voulant savoir, par exemple, si un aveugle de naissance, recouvrant la vue, pouvait distinguer un cube d'une sphère. Locke, Leibniz, Berkeley répondirent chacun à sa façon à ce problème dit de l'aveugle de Molyneux, le premier et le troisième par la négative, le deuxième par l'affirmative. D'autres comme Cheselden, dont la réflexion fut prolongée par les philosophes français, Voltaire notamment, tentèrent d'enrichir le débat en faisant intervenir le jeu des ombres dans la perception des formes, ce qui les amena à remplacer l'interrogation initiale par une nouvelle question : compte tenu des zones ombragées qui masquent chaque objet, un aveugle de naissance recouvrant la vue peut-il « voir » complètement ce qui s'offre à son regard ? L'exposé et l'analyse des réponses proposées, et notamment les théories de la sensation élaborées par Condorcet, permettent à Baxandall de relever le rôle essentiel joué par les zones ombrées dans la perception telle qu'elle est théorisée au xviiie siècle : c'est l'ombre qui fait voir le globe, elle jouit donc d'un véritable privilège ontologique.

L'intérêt de l'ouvrage de Baxandall est aussi de présenter le point de vue actuel sur les phénomènes visuels. Plus question ici d'un aveugle tel que Molyneux le mettait en scène, puisqu'il s'agit d'analyser les problèmes d'ombre et de sensation à travers les théories de l'information. On accède, via l'informatisation des méthodes du savoir, à une modélisation des processus de perception afin de les étudier dans le détail. L'approche contemporaine cherche le type d'information que l'ombre est susceptible[...]

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Écrit par

  • : conservateur au musée d'Art moderne et contemporain de Genève

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Pour citer cet article

Thierry DAVILA. OMBRES ET LUMIÈRES (M. Baxandall) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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