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NDIAYE MARIE (1967- )

L'étrangeté de la banalité

Marie NDiaye brosse une description quasi ethnologique de la France des banlieues sans fin, des nouveaux villages suburbains, des communes rurales métamorphosées par le tourisme. Elle peint avec cruauté et sans moralisme notre modernité en panne de sens, en proie à la marginalisation, au rejet xénophobe, où l'ennui et la solitude du quotidien ne rencontrent que les modèles culturels distillés par la télévision.

L'un après l'autre, ses romans dessinent la carte de nos territoires sociaux et intimes. La famille éclate, opprime ou exclut. Les enfants sont des victimes impuissantes, l'amour et le mariage se révèlent fondés sur des rapports de force. L'identité des personnages imaginés par Marie NDiaye ne va jamais de soi : leur caractère, leur nom, la couleur de leur peau, tout est soumis à des fluctuations qui sont autant de métaphores. Leur vie est incertaine, leur mort pas toujours définitive.

La romancière s'attache à transcrire la banalité et le presque rien, à peindre avec précision les objets et les décors du quotidien. Dans les failles de cette banalité, toutefois, fait souvent irruption un fantastique onirique ou paranormal qui n'est pas l'envers de la réalité, mais la conséquence d'un regard trop appuyé, « comme lorsqu'on s'approche très près d'une affiche et qu'on ne voit plus qu'une somme de petits points. » C'est un surcroît de précision dans le choix des mots et de la syntaxe qui engendre les perturbations de la logique : vocables intrus, tournures hétérogènes, amalgames corrupteurs font vaciller nos certitudes sur le réel. Exagération et distorsion sont les armes revendiquées d'une écriture dont l'étrangeté prend sa source dans « l'étrangéité », « le fait d'être étranger pour une raison ou pour une autre ».

L'écriture de Marie NDiaye, grave mais sans pathos, se nourrit de mélanges. Elle mêle l'humour à la cruauté, l'ironie à l'enchantement, le réalisme au merveilleux, croise avec subtilité les genres narratifs en brassant des influences très diverses : Proust, Kafka, le Nouveau Roman, le roman américain contemporain, mais aussi le conte africain et le conte de fées.

Écrire, c'est ainsi pour elle se tenir à la croisée des genres, comme en témoigne son œuvre ultérieure. Le roman (Mon cœur à l'étroit, 2007,Trois Femmes puissantes, 2009, Ladivine, 2013) et le théâtre (Les Serpent, 2004, Puzzle, 2007, en collaboration avec Jean-Yves Cendrey) y trouvent place, bien sûr, mais aussi la nouvelle (Tous mes amis, 2004), l'autobiographie (Autoportrait en vert, 2005) et le conte pour enfant (Le Souhait, 2005).

La romancière a conservé comme nom de plume son patronyme djolof, privé de son apostrophe. S'il paraît impossible d'oublier qu'elle est métisse, il serait tout aussi vain de réduire à cette grille d'analyse une œuvre qui est avant tout celle d'un grand écrivain.

— Christine GENIN

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

Classification

Pour citer cet article

Christine GENIN. NDIAYE MARIE (1967- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Marie NDiaye - crédits : Francesca Mantovani/ Gallimard/ Opale.photo

Marie NDiaye

Autres références

  • LA SORCIÈRE (M. NDiaye)

    • Écrit par Françoise BETTENFELD
    • 1 359 mots

    Au foyer, les femmes ! Aux fourneaux, aux chaudrons, aux bouillons qui transforment les princes en crapauds, au marc de café où se mire le futur. Dans les cuisines ancestrales, elles mitonnent encore leurs vengeances, ajustent leurs doubles vues et se les passent de mère en fille... pour survivre. Lotissement,...

  • TROIS FEMMES PUISSANTES (M. NDiaye) - Fiche de lecture

    • Écrit par Christine GENIN
    • 998 mots

    La polémique qui a suivi son attribution, lorsque Marie NDiaye fut appelée à un improbable devoir de réserve pour avoir critiqué la politique présidentielle, ne doit pas éclipser le fait que le prix Goncourt est allé en 2009 à une œuvre exigeante d'une grande cohérence. Depuis longtemps, Marie NDiaye...

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

    • Écrit par Dominique VIART
    • 10 290 mots
    • 10 médias
    ...(Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite, 1991 ; Garçon manqué, 2000 ; Marie Darrieussecq, Truismes, 1996 ; Hélène Lenoir, Son nom d’avant, 1998 ; Marie NDiaye, Trois Femmes puissantes, 2009), ou revendiquent simplement un espace plus large pour la littérature féminine (Lydie Salvayre, 7 Femmes...

Voir aussi