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LES SOUFFRANCES DU JEUNE WERTHER, Johann Wolfgang von Goethe Fiche de lecture

La fortune de « Werther »

Elle se mesure d'abord à l'impact social du roman sur une génération : sans s'appesantir sur la vague de suicides qu'il aurait provoquée – « quelques esprits bornés [...], une douzaine d'imbéciles et de propres-à-rien », dira Goethe –, sans entrer dans le détail de la « werthéromanie » qui gagne l'Europe cultivée, sans rappeler les lecteurs illustres de Werther, dont Napoléon, il faut tenter d'expliquer comment ce roman inaugure le paradigme des récits et figures romantiques.

D'abord, Werther définit géographiquement un espace limité dont les éléments simples et singuliers sont à même d'éveiller en chacun un paysage qui sera également celui du lied romantique : un jardin, des vallons, une fontaine et une auberge de village, deux tilleuls ; microcosme idéal, où chaque chose devient essentielle et réelle, des oranges sur une table, le pain bis que Lotte distribue aux enfants, un ruban rose pâle, les pistolets même avec lesquels Werther se suicidera. Mais cette circonscription de l'espace, cette sacralisation du détail advient aussi à travers un travail sur la langue, dont la traduction ne donne qu'un faible écho : autour de la déclinaison du sentiment s'articulent des mots simples, des concrétions de sens, dont la langue allemande seule est à même de nous faire entendre le sens originel. La fin de la transparence se dit ainsi en préfixes privatifs (Un-mut, Miss-mut, découragement ; Un-friede, désunion, fin de l'harmonie). Et cette langue que l'on croit métaphorique n'est rien d'autre que littérale : l'orage réel est exactement celui de la passion, et « sortir du monde » n'est pas ici une image. Grâce à ce travail lexical, grâce à un rythme fait d'interjections, d'envolées, de suspens, de silences et de blancs, Goethe inaugure peut-être « l'absolu littéraire » qui allait caractériser le romantisme allemand. Il invente à coup sûr, avec Werther, une langue que l'on dirait « sentimentale » à condition d'y entendre le sens physique, à la fois intime et collectif que ce mouvement a imprimé au sentiment en en faisant l'origine d'une révolte contre la raison, la loi, la mesure. « Rougissez, vous les tièdes, rougissez, vous les sages ! »

En 1892, Werther a été porté à l'opéra par Jules Massenet.

— Anouchka VASAK

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, maître de conférences à l'université de Poitiers

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Pour citer cet article

Anouchka VASAK. LES SOUFFRANCES DU JEUNE WERTHER, Johann Wolfgang von Goethe - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Les Souffrances du jeune Werther, Goethe - crédits : AKG-images

Les Souffrances du jeune Werther, Goethe

Autres références

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    Un an plus tard, pour achever de surmonter un amour sans issue, il écrit un roman sentimental, Werther (1774). Cette fois, le voilà – à vingt-cinq ans – célèbre à travers toute l'Europe et jusqu'en Chine où l'on peint Werther sur la porcelaine des théières. Sa vie durant, un public enthousiaste et naïf...
  • GOETHE JOHANN WOLFGANG VON - (repères chronologiques)

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    28 août 1749 Naissance de Goethe à Francfort-sur-le-Main.

    1770-1771 À Strasbourg, où il poursuit ses études, Goethe se lie avec Herder. Avec lui, il va participer au Sturm und Drang, mouvement de réaction aux Lumières.

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    1773 Première version du drame Goetz von Berlichingen...

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