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KRASNER LEE (1908-1984)

Comme la plupart de ses critiques l'ont remarqué, ce fut à la fois un atout et un handicap considérable pour Lee Krasner d'avoir été l'épouse puis la veuve de Jackson Pollock : avantage de pouvoir tenir un dialogue d'artiste avec un des très grands peintres du xxe siècle, inconvénient de devoir jouer le rôle de figure d'accompagnement, pour le marché comme pour la critique d'art. Si l'on ajoute à cela les forts préjugés antiféministes du milieu artistique new-yorkais dans lequel elle évolua, force nous est d'admettre que Lee Krasner dut faire preuve de beaucoup d'énergie, et son œuvre de beaucoup de qualités pour que soit reconnu, à juste titre, son talent.

Née en 1908 à Brooklyn, Lenore Krasner manifeste très tôt son intérêt pour la peinture. À vingt et un ans, alors qu'elle suit les cours très traditionnels de la National Academy of Design, elle visite le tout récent Museum of Modern Art de New York où l'œuvre de Picasso et celle de Matisse lui font forte impression. À partir de 1934 et jusqu'en 1943, date à laquelle ce projet lancé par Roosevelt pour aider les artistes fut abandonné, elle travaille sporadiquement pour le Public Works of Art Project : grâce à cette organisation elle rencontre la quasi-totalité des artistes qui allaient devenir les fers de lance de l'expressionnisme abstrait. De 1937 à 1940 elle étudie avec Hans Hoffmann, dont la pédagogie était fondée sur une exploration du cubisme (pour le dessin) et une analyse de Matisse (pour la couleur). À ces deux influences tutélaires il faut ajouter celle de Mondrian (qui encouragea ses débuts) pour pouvoir se faire une idée du style de Lee Krasner lorsqu'elle participa en 1942 à une exposition de groupe avec Jackson Pollock : un style pas très personnel, prenant encore l'abstraction pour une stylisation du motif naturel. La rencontre avec le maître du dripping fera fonction de catalyseur. Bien qu'ils viennent tous deux d'horizons culturels très différents (influencé par les muralistes mexicains, Pollock n'a pas grand-chose à voir avec Matisse et s'intéresse plus au Picasso de Guernica qu'au cubisme), un intérêt commun pour l'automatisme du geste (par le biais du surréalisme et de la psychanalyse jungienne) conduit rapidement le couple (qui se marie en 1945) à une démarche commune : celle de la destruction de tout a priori de composition au moyen de ce qu'on nomme le all-over (remplissage indifférencié de la surface). En 1946-1950, Lee Krasner réalise une remarquable série de toiles all-over, nommées Little Image Paintings en raison de la répétition régulière d'un lacis ou d'une arabesque d'un bout à l'autre de la toile. En 1951 a lieu sa première exposition personnelle à New York (il s'agit surtout de dessins en noir et blanc), mais c'est parce qu'elle n'était pas satisfaite des œuvres exposées que Lee Krasner invente, en 1953, ce qui allait être l'une de ses contributions majeures à l'art américain : découpant et déchirant ces mêmes dessins, elle en fait des collages dont la violence proprement automutilatoire n'est atténuée que par leur structure assez régulière (ressemblant à des affiches lacérées verticalement, ces collages sont constitués de bandes superposées). En 1955, toujours par le truchement du collage, Lee Krasner se lance dans la plus « matisséenne » des agressions colorées mais ce n'est qu'après la mort de Pollock (survenue en 1956) et sous l'influence directe de son art que l'arabesque décorative viendra rythmer le jeu descontrastes les plus insolents (rose-orange par exemple). En 1958-1959, une commande de mosaïque monumentale et la quasi-obligation de travailler la nuit (donc à la lumière artificielle) produisent un nouveau changement dans l'œuvre de Lee Krasner[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard

Classification

Pour citer cet article

Yve-Alain BOIS. KRASNER LEE (1908-1984) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques

    • Écrit par François BRUNET, Éric de CHASSEY, Universalis, Erik VERHAGEN
    • 13 464 mots
    • 22 médias
    ...une version excessive, outrancière, de la gestualité pollockienne, qui donne à chaque coup de pinceau la dimension d'un monument, comme Alfred Leslie ou Lee Krasner (1908-1984), veuve de Pollock dont l'œuvre, après la série remarquable des Petites Images (Little Images) de 1946-1950, avait été...

Voir aussi