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LE PRINTEMPS DUBILLARD À PARIS (mises en scène)

Surgi dans la France théâtrale en même temps qu'Adamov ou Beckett, Roland Dubillard aurait dû connaître le même succès, lorsqu'il donna Naïves Hirondelles, en 1961, immédiatement suivi de La Maison d'os (1962). Ce ne fut pas le cas. Trop souvent relégué au rang d'auteur mineur, conduit à créer et à interpréter lui-même ses pièces, il est resté essentiellement connu du grand public pour ses Diablogues. Sans doute Roger Blin créa-t-il ...Où boivent les vaches, en 1972, repris par Roger Planchon au T.N.P., onze ans plus tard ; sans doute, dans la foulée d'Éric Vigner exhumant magnifiquement La Maison d'os en 1991, les acteurs et les metteurs en scène des nouvelles générations ont-ils appris à redécouvrir cette pièce ; et, en 1998, le festival d'Avignon a mis à l'honneur Dubillard avec Je dirai que je suis tombé...

Il n'en aura pas moins fallu attendre l'année 2004 et les quatre-vingts ans d'un auteur que Claude Roy disait « impassible et impossible » pour qu'un juste hommage lui soit rendu, le temps d'un « festival Dubillard » programmé par Jean-Michel Ribes dans les trois salles du Théâtre du Rond-Point, à Paris. Deux mois durant, du 2 mars au 30 avril, huit spectacles se sont ainsi succédé : deux « montages » à partir de poèmes (La Boîte à outils, réalisé par Anne Bourgeois, et Paternelle II, par Ariane Dubillard, actrice et fille de l'écrivain), cinq pièces (Les Crabes, Naïves Hirondelles, Le Jardin aux betteraves, ...Où boivent les vaches et Madame fait ce qu'elle dit, un inédit mis en scène par Werner Schroeter et Maria Machado, compagne de Dubillard), ainsi que Les Chiens de conserve, un scénario écrit en 1975 pour un film jamais réalisé.

C'est ce scénario, transposé à la scène par Catherine Marnas, qui a frappé les trois coups. Paradoxalement, nul choix ne pouvait s'avérer plus juste. Usant de tous poncifs du genre pour mieux les détourner, ce « polar » loufoque constitue l'une des meilleures introductions à l'univers de Dubillard : léger, farfelu au premier abord, déconcertant, voire effrayant, pour peu qu'on se perde dans les méandres d'un langage qui joue de tous les dérèglements. C'est que le monde de Dubillard est mouvant, impossible à fixer.

On retrouve toute la singularité d'une œuvre atypique, marquée au sceau de la vie qui s'échappe quand tout s'efface et que la logique, poussée à son extrême, s'égare dans les dérives d'un temps qui n'existe plus. La peur de la solitude et de la vieillesse se fond dans celle de la maladie et de la mort, sinon de l'inexistence. Dans le même temps, l'écriture se révèle extraordinairement concrète, mettant sur le même plan les objets et les hommes. Dans La Boîte à outils, Dubillard donne vie aussi bien au chat qu'au clou, à la baignoire qu'à la scie. « Une rage de scie, lance-t-il, qui l'a comprise ? »

Voilà de quoi troubler le spectateur et alimenter le malentendu qui a fait de Dubillard un représentant de l'absurde, alors qu'il se contente de dire la déliquescence des êtres et des choses, sous le double masque de la poésie et d'un rire « hénaurme ». Le critique du Parisien libéré, Georges Lherminier, lui, ne s'y était pas trompé, évoquant à son propos, dans les années 1950, « la rencontre de Musset et Desnos ». Ou celle « de Rabelais et Beckett », comme l'affirme Jean-Michel Ribes, qui a mis en scène Le Jardin aux betteraves sur le mode de la fantasmagorie. En plus de ses interrogations fondamentales, Dubillard y pose la question de l'art, et de sa nécessité, ainsi qu'il le fera à nouveau dans ...Où boivent les vaches, monté ici par Éric Vigner.

Dans Le Jardin aux betteraves, Dubillard égare quatre musiciens, venus interpréter un quatuor de Beethoven,[...]

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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Pour citer cet article

Didier MÉREUZE. LE PRINTEMPS DUBILLARD À PARIS (mises en scène) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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