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TRIER LARS VON (1956- )

L'expérience des limites

Europa (1991) n'est « ni un film sur l'Allemagne ni un film sur l'Europe » rétorque Lars von Trier à un journaliste, avant d'ajouter : « Un film ne parle de rien. » Ici, en effet, l’usage, perdu depuis longtemps, de « transparences » n’est pas une simple figure de style. Les décors, à l’arrière-plan, semblent servir à propulser Kessler (le héros du film est interprété par Jean-Marc Barr), ils le poussent vers nous : le petit contrôleur du train est d’emblée confiné dans un espace réduit à l’intérieur de l’écran. Dans cette histoire close sur elle-même, au noir et blanc un peu brun, Kessler est une figure, non pas un personnage (si ce n’est le spectateur générique), pourvue, au même titre que les épanchements de couleur vive et chaude (comme la flaque de sang qui se répand), d’un fort potentiel émotionnel.

Ce ne sont ni les idéologies (Europa), ni la violence meurtrière (The Element of Crime), ni la maladie (The Kingdom, présenté en 1994 au festival de Venise, et Breaking the Waves, à Cannes en 1996, ses films les plus impressionnants) qui passionnent Lars von Trier, mais le rapport de force que le cinéma peut exercer à l’égard de celles-ci. Le cinéma de Lars von Trier crée et force une intimité avec l'autre – qu’il soit spectateur, criminel, malade, naïf... – et concrétise chaque fois un point de vue singulier. Celui de Mme Drusse, par exemple, la vieille dame spirite qui se fait hospitaliser afin de dialoguer avec les esprits des morts de l'hôpital, ou celui de Helmer, l'odieux médecin suédois qui proclame chaque jour sa haine des Danois, pour ne citer que deux personnages parmi ceux qui peuplent The Kingdom, tous enfermés dans une proximité du corps et de l'esprit avec la mort, la maladie et la folie.

L'expérience du cinéaste selon Lars von Trier consiste, au-delà du laboratoire, en un compagnonnage avec l'humanité, ses failles, ses ruptures, ses croyances individuelles. En témoigne son splendide Breaking the Waves, qui montre jusqu'où mène la foi, qu'elle soit en une histoire, en l'amour, en la présence des acteurs, en la passion, en tous cas, en la force du cinéma.

Le film reçut le grand prix du jury au festival de Cannes avant que, en 2002, la palme d'or soit décernée à Dancer in the Dark, Björk obtenant le prix d'interprétation féminine.

Auparavant, Lars von Trier avait réalisé Les Idiots (1998), qui s'efforçait d'illustrer à l'écran les principes du manifeste Dogma 95, dont le metteur en scène avait pris l'initiative avec trois autres cinéastes danois, et qui visait à réintroduire dans le cinéma spontanéité et rapidité d'exécution. L'expérience allait s'interrompre en 2005, sans que les autres films de Trier aient vraiment répondu à ce désir de « retour aux sources ». Après être revenu au mélodrame et à la comédie musicale dans Dancer in the Dark, Lars von Trier choisit une approche très formaliste pour Dogville (2003) et Manderlay (2005), les deux premiers volets d'une trilogie sur les États-Unis. Avant même de terminer ce cycle, il en commence un second sur le thème de la dépression et de la catastrophe tant humaine que psychologique : Antichrist (2009) évoque ainsi la violence sexuelle au sein d'un couple en souffrance, tandis que l'envoûtant Melancholia (2011) a pour toile de fond la disparition imminente de la Terre. Cette trilogie se clôt avec un film en deux parties, Nymphomaniac (2013).

— Marie-Anne GUÉRIN

— Universalis

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Écrit par

  • : critique de cinéma aux Cahiers du cinéma et à Trafic
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Marie-Anne GUÉRIN. TRIER LARS VON (1956- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BREAKING THE WAVES, film de Lars von Trier

    • Écrit par Michel CHION
    • 1 119 mots

    Depuis son premier long-métrage, Element of Crime (Forbrydelsens element, 1984), suivi d'Epidemic (1987) et d'Europa (1991), trois films partiellement ou totalement en noir et blanc, le réalisateur danois Lars von Trier, né en 1956, s'était fait remarquer pour son goût « maniériste » des...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ...Bille August, né en 1948, deux fois primé à Cannes (Pelle le conquérant, 1987, et Les Meilleures Intentions, 1992), a confirmé son talent. Au Danemark, Lars Von Trier, né en 1956, a puissamment influencé le cinéma contemporain, par son talent propre, mais aussi en fédérant autour de lui – par l'entremise...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Mise en scène

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 4 776 mots
    • 10 médias
    ...sur le monde » (Bazin) qu'un miroir. Le culte du vrai redonne goût à des théories aussi radicales que celles de Dogma 95, collectif danois animé par Lars von Trier et Thomas Vinterberg, dont le manifeste refuse tout trucage, tout éclairage non naturel, toute postsynchronisation, le tournage se faisant...
  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 5 126 mots
    • 18 médias
    Palme d'or au festival international du film de Cannes en 2000, Dancing in the Dark, de Lars von Trier, marque sinon la fin d'un genre, du moins un virage capital. Dans le sillage d'Une étoile est née (version Cukor), le film musical tend ici vers le mélodrame. Les chansons, plus que...
  • DOGMA 95

    • Écrit par Vincent PINEL
    • 1 164 mots

    1995 : le cinéma fête ses cent ans. C'est à cette date que quatre jeunes cinéastes danois, Lars von Trier, Kristian Levring, Thomas Vinterberg et Søren Kragh-Jacobsen choisissent de fonder à Copenhague Dogma 95. Ce collectif repose sur un commun rejet « d'une “certaine tendance” du cinéma...

  • Afficher les 7 références

Voir aussi