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LA MÉTAMORPHOSE, Franz Kafka Fiche de lecture

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Une histoire de famille

Si Gregor est prisonnier d’un corps qu’il ne reconnaît pas, ses réactions restent humaines ainsi que sa taille, qui n’est pas celle d’un simple cafard. Il se montre capable, au fil du récit, d’agacement, de rage, de tendresse, de joie quand il arrive à se déplacer, d’émotion quand il entend sa sœur jouer du violon (« Était-il une bête, pour être à ce point ému par la musique ? ») et même, à la fin, d’esprit de sacrifice. Car Gregor ne se révolte jamais contre son sort et l’absurdité de sa vie. S’il est désespéré, ce n’est pas à cause de sa transformation, mais simplement parce qu’il ne pourra plus exercer son métier et subvenir aux besoins de sa famille qu’il est le seul à faire vivre grâce à son emploi. Et quand sa sœur, charitable au début, se « métamorphose » en mégère par pingrerie et appelle à se débarrasser de lui, cet humain devenu animal et cet animal réduit au rang de chose, il accepte son sort sans regimber. Déjà gravement blessé par une pomme que lui a lancée son père et qui, coincée sous sa carapace, pourrit et l’infecte, il se laisse finalement mourir de faim et de soif dans sa chambre devenue un dépotoir où l’on entasse les objets inutiles et les détritus. Cela rappelle la mort volontaire de Georg dans Le Verdict, nouvelle écrite à peine quelques mois plus tôt : « Georg, chassé de la chambre, sort de la maison et, désespéré, franchit le parapet et se jette à l'eau : "Chers parents, je vous ai pourtant toujours aimés !" et se laissa tomber dans le vide. »

L’amour-haine que Kafka éprouve pour sa famille, et notamment son père, est l’une des interprétations les plus courantes de cette nouvelle. Dans une lettre du 8 octobre 1912 à son ami Max Brod, il écrit en effet : « Je les déteste tous autant qu’ils sont. » Trois semaines plus tard, il commence la rédaction de sa nouvelle. Mais le texte ressemble moins à un règlement de compte qu’à un châtiment imaginaire : l’idée que Kafka se fait de sa propre disparition et de la réaction de sa propre famille. Loin d’être abattue par cette mort, la famille de Gregor se sent renaître et en profite pour aller prendre le soleil. Dans le tramway qui les emmène à l’extérieur de la ville, le père et la mère n’ont pas la moindre pensée pour leur fils mais admirent en bons petits bourgeois la beauté de leur fille, nymphe devenue papillon : « M. et Mme Samsa, à la vue de leur fille qui s’animait de plus en plus, songèrent presque simultanément que, ces derniers temps, en dépit des corvées et des tourments qui avaient fait pâlir ses joues, elle s’était épanouie et était devenue un beau brin de fille »à qui il faudrait vite trouver un mari. Ainsi donc, une nouvelle métamorphose, lumineuse cette fois, succède à la première, ancrée dans l’obscurité d’une chambre fétide. Mais on voit tout ce que cette lumière finale, qui éclaire un monde de philistins, a de faible et de frelaté face à l’obsédant soleil noir de la mort de Gregor.

— Pierre DESHUSSES

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Pierre DESHUSSES. LA MÉTAMORPHOSE, Franz Kafka - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 12/05/2021